Art et Culture : Une expérience transformatrice

Mis à jour le 17.11.20

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Stanislas Nordey a animé de nombreux ateliers de théâtre auprès des jeunes. Militant de la culture pour tous, il cherche à repousser les frontières des «zones culturelles blanches», ces territoires où l’on n’a pas suffisamment accès aux biens culturels.

Comédien et metteur en scène, STANISLAS NORDEY dirige depuis 2014 le Théâtre national de Strasbourg et son école d’art dramatique.

Nordey

ART ET CULTURE À L’ÉCOLE, UNE NÉCESSITÉ ?

C’est une nécessité absolue qui se décline de diverses manières. Pour la plupart des artistes c’est extrêmement enrichissant d’intervenir en milieu scolaire car la question de la transmission aux nouvelles générations est au centre de leur geste. Quand on est face à des enseignants qui sont dans le désir, ces très belles rencontres enrichissent l’enseignant et l’artiste. Et au cœur de ça il y a l’enfant, l’adolescent. Ces gestes innovants qui inventent sans cesse, qui sont dans le présent et créent un écart à la pratique scolaire habituelle leur ouvrent d’autres horizons. Pour les trois, enseignant, artiste et enfant, c’est extrêmement nécessaire et par expérience, ça marche. Être en contact avec l’art fait reculer la barbarie. Il y a encore un immense chemin à parcourir. L’idée à une époque de rapprocher les mots éducation et culture, cette consanguinité nécessaire entre ces deux domaines, avait un sens. Les années Lang ont créé une sorte d’accélérateur et les résultats ont été extraordinaires, particulièrement dans les territoires délaissés et déshérités où il y a un appétit incroyable d’art et de culture. Mais pour que cela existe il faut des moyens, ce sont des investissements d’avenir.

QUEL RÔLE POUR L’ÉCOLE ?

L’art et la culture sont souvent aux avant-postes de réflexion. Par exemple, les questions de la parité, du genre et de la diversité, la représentation des femmes, sont à l’œuvre depuis longtemps chez les artistes. Il faut être dans le contemporain. Parfois, au ministère ou chez quelques enseignants, Racine et Molière sont des valeurs plus sûres que Duras et Yourcenar. Mais les artistes contemporains sont importants aussi parce qu’ils sont dans la vie, dans la cité et ils transmettent quelque chose du monde d’aujourd’hui, de la réalité. Je suis pour que les artistes envahissent les écoles. A partir du moment où un artiste est là, il dérange les choses, les déplace, les fragilise dans le bon sens du terme, il les met en perspective, les complexifie. L’enjeu de toute notre société c’est : comment est-ce qu’on combat la violence et l’intolérance, le sexisme, le racisme, l’homophobie ? L’école est un média et un interlocuteur formidable, un lieu parfois d’exclusion pour des jeunes mais un lieu où cela peut aussi se résoudre.

QUELLE CULTURE POUR LES JEUNES ?

Entre l’école que j’ai connue et l’école d’aujourd’hui, on en est toujours à une représentation de l’histoire des puissants écrite par les puissants. Les enfants qui ne sont pas de cette histoire-là, celle des dominants et des classes supérieures, ne s’y retrouvent pas. Et ce n’est pas une question d’assimilation ou pas. Il n’y a pas d’ouvriers ou de paysans chez Molière, sauf pour  les ridiculiser. Il faut parler de la vie et interroger les programmes. On est dans une forme d’immobilisme dont tout le monde est complice et dont les principales victimes sont les élèves. Penser que c’est en les emmenant voir Abd el Malik qu’ils auront accès à la culture est une erreur. Ils n’ont pas d’a priori et sont plus accueillants qu’on ne croit. Parfois les artistes sont face à des enseignants qui eux le sont un petit peu moins et sont sûrs que, « ça » c’est pas bon pour leurs élèves. « Essayez, écoutez-moi » c’est le rôle de l’artiste de déplacer l’enseignant sur des territoires parfois plus glissants, en l’accompagnant.

L’ART PEUT-IL CHANGER LA VIE DES ÉLÈVES ?

Ça change tout et vite parce que quand on est confronté à la question de l’art, on est déjà confronté à la question du regard. Et ça quand on est tout jeune, le regard sur l’autre, le regard que l’autre pose sur soi, celui que l’on pose sur soi, sont très problématiques et souvent douloureux. Aux ateliers, on apprend à regarder l’autre, à regarder ce que l’on ne sait pas faire, à regarder l’inconnu, à être tolérant. C’est juste énorme et fondamental. Nous mettons aussi en pratique comment on regarde et on écoute l’autre, cet autre est différent et ça n’est pas grave. Il y a un enjeu sociétal immense. Ce n’est pas un boulot titanesque parce qu’ils comprennent tout de suite, par l’expérience, ce qu’ils y gagnent. C’est gagnant-gagnant pour tout le monde. Pour la société, pour les mômes, pour les enseignants, les parents… Mais tant qu’on n’a pas été confronté à ça, on ne s’en rend pas compte.

LES OBJECTIFS DE LA DÉCENTRALISATION ONT-ILS ÉTÉ ATTEINTS ?

Aujourd’hui les classes moyennes ont accès à la culture mais pas les classes populaires, les exclus, les gens précarisés. Pour toucher tout le monde, il faut plus de moyens, des choix budgétaires et des politiques publiques. Sachant qu’un grand plan ça ne coûte pas si cher, vu ce que ça rapporte il y a un rapport qualité-prix délirant.

C’est l’accompagnement des artistes qui fait la différence.

Art et culture à l’école, juste fondamental ! 

Outils de médiation vers l’autonomie ou d’autres disciplines, vecteurs de cohésion et d’égalité dans la classe, espaces du vivre ensemble, sésames de la réussite scolaire ou simples moyens d’expression, l’art et la culture à l’école ouvrent de nouveaux horizons à l’imaginaire et à l’épanouissement des élèves.

Pourquoi faire du théâtre à l’école ? « Parce que je ne peux plus faire autrement » dit une enseignante de Périgueux qui chaque année inscrit son projet dans tous les objectifs de maîtrise de la langue écrite, orale, lue, mais aussi de la maîtrise de l‘espace avec un travail sur le corps ou les compétences du vivre ensemble et de la formation citoyenne. « Il fédère complètement la classe » poursuit-elle. Dans les écoles, de la ville à la campagne, c’est ici un orchestre, là des fresques gigantesques, ici encore des chorales, là-bas un travail d’écriture ou encore de l’improvisation. Pour beaucoup de ces classes ou de ces écoles, c’est l’accompagnement des artistes qui fait la différence. Car bien loin des « fondamentaux » du ministère, ce bien commun fondamental, la culture, se partage à l’infini, fait de la classe un collectif tout en donnant sa place à chacun et chacune. C’est aussi pour l’école, la classe, l’enseignant·e, les élèves, s’inscrire dans la cité à travers des partenariats avec des associations de développement culturel et des lieux d’art et de culture, théâtre, musée, monument historique… des lieux qui tout en gardant une place particulière à notre patrimoine et à notre culture commune, en laissent une toute aussi importante aux cultures de tous et aux expressions contemporaines.
« Ces expressions contemporaines sont audacieuses dans leur forme et dans les thématiques traversées… et les effets, même s’ils ne sont jamais garantis, sont des avantages collatéraux » explique Katell Tison-Deimat, coordinatrice Art et Culture à l’Office central de la coopération à l’école et invitée à l'UDA en 2019. Une éducation artistique aux vertus émancipatrices, comme en témoigne Jean-Marc Lauret, ancien inspecteur général aux affaires culturelles et invité à l'UDA en 2018 : « Quand on est engagé dans un projet artistique, on est dans une démarche d’exploration de l’ensemble des possibles dans une situation donnée, c’est la pensée divergente, une compétence absolument transversale ».
Les enseignantes et enseignants motivé·es essaient bien de tenir tous les bouts. Pas facile quand on n’a pas la fibre artistique, que la formation continue ne propose plus rien, que les partenariats -classe à PAC ou autre résidence d’artistes- vous plongent dans les dédales administratifs ou que le budget transport oblige à choisir entre la sortie au théâtre et la visite au musée. Si l’État réaffirme que l’éducation artistique et culturelle est indispensable à la démocratisation culturelle et à l’égalité des chances, c’est bien de moyens financiers et humains, de formation aussi dont les enseignants ont besoin pour mettre cette éducation à l’art et à la culture en pratique dans leur classe.