Tests CP et CE1, garder la mesure

Dans ce dossier #

Présentation générale
Les évaluations à travers le temps
Reportage à Oloron Sainte-Marie (64)
Interview du Britannique Stephen J. Ball
Reportage à Villemotier (01)
Interview d'Olivier Rey

En cette rentrée, le ministre demande aux enseignants de CP et CE1 de faire passer à leurs élèves de nouvelles évaluations. Les mécontentements qui s’expriment dans les écoles trahissent les questions que les PE se posent quant à leurs finalités. S’agit-il simplement d’avoir une photographie du niveau général d’une classe d’âge ? Dans ce cas, un travail sur échantillon serait suffisant. S’agit-il d’évaluations diagnostiques pouvant bénéficier aux enseignants et aux élèves ? En imposant aux équipes des items entièrement formatés, centrés sur le lire/écrire et les maths et, pour lesquels les résultats sont simplement binaires – bonne ou mauvaise réponse –, ce n’est pas ce dernier objectif qui est visé. D’autant que ces items ne respectent pas les apprentissages réels des élèves issus des derniers programmes de maternelle et de cycle 2.

“ Les évaluations ont connu depuis une trentaine d’années des modifications récurrentes dont les objectifs ont varié au gré des ministères ’’

Qu’elle soit diagnostique ou sommative, l’intérêt d’une évaluation réside aussi dans l’identification des difficultés rencontrées, par la mesure des progressions réalisées, par l’identification des procédures mises en œuvre. L’intérêt est encore dans les pistes de remédiation que l’évaluation permet d’explorer, en tenant compte de la dimension pédagogique des difficultés, mais encore de l’histoire de l’enfant, du contexte socioculturel dans lequel il évolue. Ce travail, qui possède une vocation « formative », passe par une observation assidue de la classe. Il s’agit d’une dimension importante du travail enseignant, un geste professionnel du quotidien. Cette approche globale va permettre au maître d’ajuster son enseignement, d’opter pour telle ou telle situation d’apprentissage, d’adapter sa conduite de classe ou encore de faire évoluer ses pratiques face aux blocages que rencontrent ses élèves. Or les tests passés à cette rentrée ne permettent rien de cela, dépossédant les enseignants de toute possibilité d’analyse, ils focalisent sur les « fondamentaux », tendent à imposer une vision de l’apprentissage de la lecture et des maths et, ouvrent la porte à une modification des programmes de maternelle.

Stress, concurrence #

Les évaluations nouvelles font surtout figure de tests dont il n’est pas très réaliste de tirer des enseignements pédagogiques. Leur conception, n’est pas sans rappeler ce qui a été fait dans certains pays anglo-saxons et dont on mesure aujourd’hui les effets pervers. C’est ainsi qu’en Grande-Bretagne a émergé la notion du « Teaching to the test », enseigner pour tester. « Enseigner revient à préparer aux évaluations, mémoriser, rabâcher », explique Stephen J. Ball, sociologue de l’éducation à Londres. Et puis, remarque-t-il, « les enseignants se concentrent sur les matières qui vont être évaluées, surtout en primaire, les mathématiques et la lecture/écriture. Les autres matières, éducation musicale, sportive etc. sont négligées ». Et pour peu que les résultats soient rendus publics pour chaque école, le système en vient à établir un classement qui n’est pas sans influer sur la stratégie de certains parents pour l’inscription de leurs enfants. 

Par ailleurs, ces tests accroissent le stress chez les enseignants et surtout chez les élèves. En France, on s’en rend déjà compte et on souligne les conséquences de cette pratique sur l’estime de soi des élèves mis en situation d’échec, plutôt que placés dans une perspective de valorisation en ce début d’année. Cette préoccupation est au cœur du dispositif mis en place dans la petite école de Villemotier dans l’Ain. « Ici on ne pratique pas d’évaluation collective tous ensemble au même moment », explique la directrice Céline Prosper. Les compétences sont validées au fur et à mesure de leur acquisition au sortir de parcours prenant en compte le rythme de chacun.

En faire un outil pour l'équipe #

Les enseignants de la circonscription d’Oloron dans les Pyrénées-Atlantiques enrichissent collectivement leurs pratiques. Avec la conseillère pédagogique, ils ont mis en place des outils qui a priori paraissent classiques. « Ce qui diffère, souligne une enseignante, c’est l’utilisation que nous en faisons lors de temps de parole collectifs. Ce ne sont pas des tests, mais des outils pour les enfants et pour nous ».

En fait, dans ce pays où l’on aime bien les querelles au sujet de l’éducation, les évaluations ont connu depuis une trentaine d’années des modifications récurrentes dont les objectifs ont varié au gré des ministères. « Lorsque les difficultés qu’elles vont pointer, qui appellent des remédiations, ne correspondent pas aux moyens et aux outils dont disposent les enseignants pour les mettre en œuvre, ça reste un instrument pour accuser une faiblesse sans avoir les moyens de la corriger. Indiquer un objectif sans donner les moyens de l’atteindre est forcément contre-productif », explique Olivier Rey, spécialiste des sciences de l’éducation. Et c’est tout le danger que font peser ces évaluations sur l’école.

Les livrets des évaluations CP-CE1 ont provoqué un fort émoi dans les écoles. En cause, une partie des contenus et des modalités de passation jugées inadaptées, mettant les élèves en difficulté dès le début de l’année. Items éloignés des apprentissages de maternelle, textes disjoints des référents culturels des enfants, pièges glissés dans les réponses proposées, modalité unique en papier crayon, durée très limitée de passation, interdiction d’aider les enfants… autant d’éléments qui s’ajoutent à une dépossession du professionnalisme enseignant, ces derniers étant écartés des processus de conception et de correction. La question de l’utilisation des remontées est aussi fortement posée. Le SNUipp-FSU a adressé une demande de moratoire au ministère et appelle les enseignants à reprendre la main sur ces évaluations : non passation, sélections d’items, adaptation, non saisie des réponses, remontée des besoins…

Lire le dossier complet en PDF #