De mosquée en synagogue

Mis à jour le 29.11.23

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Reportage à Paris où l’enseignement du fait religieux s'appuie sur les lieux de culte.

Au 17 rue de Tanger à Paris, l’enseignement du fait religieux s'appuie sur les héritages patrimoniaux et les lieux de culte.

C’est en janvier 2015, suite aux attentats de Charlie hebdo, que Laurent Klein conçoit ses premières séances sur l’enseignement du fait religieux. « Plutôt qu’une leçon de morale, je souhaitais offrir un espace de débats et de connaissances aux élèves » explique-t-il. Depuis, son projet s’est étoffé et à l’école du 17 rue de Tanger dans le 19e à Paris où il est directeur, participer à un parcours de lieux de cultes est devenu une attente pour les élèves de CM2. Depuis l’an dernier Shani Bernès s’est jointe à l’aventure. « La liberté pédagogique nous autorise à mettre l’accent sur certaines entrées des programmes, mais seule je n’aurais sans doute pas mis tout cela en place, confie l’enseignante en CM2. L’impulsion donnée par ce projet engendre aussi une curiosité des élèves, une envie de savoirs. »
Tout commence par un débat organisé et un questionnement aux enfants :
« dans le cadre de la laïcité, qu’est-ce que l’on peut faire ou pas à l’école ? ». Pour beaucoup d’élèves, la laïcité est associée à une interdiction de parler des religions. « Les seuls qui n’ont pas le droit de faire état de leur opinion religieuse, c’est nous les enseignants, rectifie Shani. Au même titre qu’en classe, nous ne pouvons donner nos opinions politiques ou faire de la publicité ». Ce premier temps est construit dans une démarche d’un droit de dire, de s’exprimer, d’interroger les interdits. Dans un contexte où la laïcité est présentée comme excluante, où elle est médiatisée sous l’angle
« d’atteintes », il apparaît important aux deux PE de défaire cette représentation d’une religion taboue à l’école ou d’une laïcité qui serait son ennemie. « Il y a un enjeu à autoriser le sujet de la religion, pour éviter le fanatisme ou des postures radicales comme celles qui peuvent se construire à l’adolescence, dans un besoin de recherche d’identité et d’appartenance, argumente Laurent. Contre le repli, il est nécessaire de montrer que la religion fait partie de la culture. C’est par ailleurs l’occasion de définir aussi les notions d’athéisme ou d’agnosticisme. »

Sous l'angle culturel

C’est en effet à partir de cette culture religieuse que l’enseignant a construit sa première progression, s’appuyant sur deux textes du mythe d’Abel et Caïn, l’un issu de la Bible, l’autre du Coran. Après des premiers échanges d’impressions, de comparaisons des versions, les élèves abordent la notion de l’État de droit. L’histoire d’Abel et Caïn, c’est l’interdiction du meurtre, le devoir de répondre de ses crimes devant une justice, mais aussi une allégorie pour penser les mythes fondateurs de l’humanité. « Il ne s’agit aucunement de faire de l’instruction religieuse, précise l’enseignant. Mais dans un patrimoine marqué par l’histoire chrétienne, la religion imprègne des œuvres d’art, des romans, des éléments de la vie quotidienne. Or, c’est bien la mission de l’école de donner des clés de compréhension. » Pour lui, comme pour sa collègue, il ne s’agit ni de remettre en question les éventuelles religions des familles, ni bien évidemment d’inciter à être croyant ou de faire du prosélytisme. « Mais il est nécessaire de montrer que c’est aussi des objets de culture plus générale. » complète Laurent, passionné par le sujet. Une deuxième séance vise à comparer des illustrations de cette histoire commune aux trois religions monothéistes à travers une miniature perse, une production d’artiste européen ou l’œuvre d’un photographe israélien. Les artistes aussi ont des diversités de représentation du récit…

Déconstruire les fantasmes

Depuis plusieurs années, les élèves de CM2 effectuent un parcours de lieux de culte. La capitale permet, en effet, d’aller de l’église Saint-Étienne-du-Mont à la Grande Mosquée de Paris, en passant par la synagogue de la rue Buffaut ou encore le temple de Ganesh, installé dans une ancienne boutique du 18e. Les visites guidées par le directeur, soutenues par des fiches bilan, ont laissées des souvenirs précis aux enfants. Nour, pour qui c’était la première visite d’une église, a été impressionnée par sa taille, par « cette grande croix avec Jésus accroché dessus et le nombre de « tableaux » sur les vitres ». Julien, lui, a surtout retenu « cet étrange piano avec des tuyaux qui faisait beaucoup de bruit ! ». À la mosquée, tous les deux ont observé la quantité de motifs sur les murs et la beauté des jardins. Ils notent aussi que là, comme au temple hindou, « on doit enlever ses chaussures en entrant ». « Au temple, c’était tout doré » s’émerveille encore Julien. Concernant la synagogue, ce sont les écritures en hébreux et la Torah en rouleau qui auront marqué sa camarade. « C’est étrange comme les lieux sont différents alors qu’ils sont tous religieux » s’étonne encore le garçon. « Même les prières sont différentes » complète Nour, surprise des tambours lors de la puja hindouiste. Pour l’enseignant, l’objet du parcours est « de déconstruire les préjugés et les fantasmes. Permettre d’entrer dans le lieu de l’autre, c’est apprendre à mieux le connaître, à se décentrer de sa culture, s’ouvrir à d’autres. C’est ça le cadre laïc de l’école publique. »

"DONNER DES CLÉS DE COMPRÉHENSION”

Anaël Honigmann docteure de l’École pratique des hautes études, mention Religions et systèmes de pensée.

FsC 494 Anaël Honingmann

Quel enjeu de l'enseignement du fait religieux?

Au-delà de créer une culture commune, l’enjeu est de lier l’enseignement des faits religieux à l’éducation à la laïcité. Il s’agit d’une part de créer un cadre apaisé, à la fois pour les élèves et l’enseignant, pour pouvoir parler en classe de ces sujets qui s’y invitent de fait. D’autre part, de développer un rapport réfléchi au religieux en distinguant le champ du savoir de celui de la croyance, de se familiariser avec la pluralité des convictions et de leurs diversités internes. Enfin, l’objectif est de susciter un attachement à la laïcité,
non comme une série d’interdictions, mais comme les libertés qu’elle garantit à l’individu comme au groupe.

Quels sont les freins ? 

Des peurs. Celles des réactions des élèves ou des parents, de l’institution, de manque de connaissances, de ne pas respecter sa neutralité ou les attendus, de créer des conflits de loyauté chez les enfants, d’un positionnement professionnel complexe entre rôle de maïeuticien et objectifs précis.

Comment les dépasser ? 

Être formé et s’appuyer sur des outils validés pour se lancer et c’est l’expérimentation qui va rassurer. Travailler la pédagogie du questionnement et la mise en neutralité. Utiliser un langage qui acte la pluralité, qui évite les prescriptions des religions ou les vérités
intangibles pour s’appuyer sur un vocabulaire descriptif, qui identifie les croyances

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