"Recentrer sur des notions noyau"

Mis à jour le 18.12.21

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Réalités et pistes envisager pour améliorer l'apprentissage de la langue par les élèves.

Patrice Gourdet est enseignant chercheur et maitre de conférences en sciences du langage à l’université de Cergy Pontoise. Il intervient également à l’INSPE de Cergy. Il a contribué à l’écriture des programmes de 2015. Il est l’auteur de Savoirs d’action et savoirs scientifiques : les articulations dans la formation des enseignants et du manuel scolaire Chut… Je lis CE1.

Patrice Gourdet UDA 2021 ©Millerand-Naja

Quelle est la réalité de l'enseignement et de l'apprentissage de la langue dans la classe ?  

C’est très compliqué d’appréhender la réalité des classes. On ne dispose que de faisceaux de données pour percevoir l’articulation entre les savoirs déclarés, les savoirs à enseigner et les savoirs appris. Cependant, la recherche REAlang se donne comme objectif de comprendre la réalité de l’enseignement/apprentissage de la langue. À partir de l’évaluation de l’évolution de performances d’élèves en CE2, CM1 et CM2 autour de deux notions grammaticales centrales que sont le verbe et l’adjectif, nous tentons de repérer des classes efficaces pour ensuite aller observer les pratiques pédagogiques. Très souvent, les collègues passent beaucoup de temps à enseigner la langue en tant qu’objet et souvent de manière cloisonnée la grammaire, l’orthographe, la conjugaison. Mais c’est une stratégie chronophage qui laisse souvent les enseignants et enseignantes sur un sentiment d’insatisfaction au regard du temps passé et des acquis des élèves.

Les programmes actuels tiennent-ils compte des apports scientifiques ?  

Ce ministère affirme appuyer ses décisions sur les apports de la science avec la caution d’un Conseil scientifique dominé par des approches issues des sciences cognitives. Les programmes seraient donc en appui sur des études scientifiques, or pour l’étude de la langue, ces apports sont faibles. Pourtant, de façon dogmatique, le ministère essaie de nous dire ce que seraient les « bonnes » et « mauvaises » pratiques. Les programmes de 2015, résultats de deux années de travail avec l’appui d’apports, en français, de plus de 25 chercheuses et chercheurs, ont été réajustés en 6 mois ! Le terme de « prédicat » a été notamment une des cibles de ce réajustement alors que depuis un siècle, on répète que le verbe est un problème car c’est le même mot qui est utilisé pour désigner une nature et une fonction. Le prédicat était une proposition pour se sortir de cette impasse.

Pourquoi faut-il repenser cet enseignement ? 

Il y a tout un discours négatif sur la maitrise de la langue qui justifie que l’on repense cet enseignement. L’approche dominante est avant tout déductive, c’est celle que l’on trouve dans n’importe quel manuel actuel de grammaire, avec des leçons en appui sur une mini recherche pour aboutir à une règle, son lot d’exceptions et des d’exercices d’application décontextualisés. Si cette méthode était efficace au niveau des acquisitions des élèves, on n’en débattrait pas autant.

Quelles pistes d'évolution pour améliorer l'apprentissage de la langue par les élèves ? 

Il faudrait recentrer sur des notions « noyau ». Arrêter de penser que l’ensemble de la grammaire se travaille à l’école primaire, prendre mieux en compte l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans et construire une véritable progression pour aborder l’enseignement de la langue. Ensuite, il faut apprendre à mémoriser mais aussi à avoir une attitude réflexive sur la langue. Les élèves doivent se rendre compte que cette langue est régulière et que ces régularités doivent l’emporter sur les exceptions qui ne font qu’augmenter leurs doutes et leurs incertitudes. On fait comme si en fin de CM2, la grammaire, c’était fini et que les élèves devaient tout savoir. Par exemple, le classement en trois groupes verbaux est un des marqueurs pour dire qu’on est revenu à la tradition. Sauf que depuis 50 ans, les chercheurs en didactiques disent que cette classification n’est pas efficace et que le temps passé à les distinguer est chronophage. Il est plus important d’opposer tout d’abord les verbes en -er qui ont un fonctionnement particulier au présent et les autres. Pour le 3ème groupe, autant regrouper ceux qui fonctionnent de la même manière. En effet, si on prend les 150 verbes les plus fréquents de la langue française, il n’y a que 3 verbes dits du 2ème groupe. Mais par contre il y en a 9 en « dre », pourquoi ces verbes n’auraient-ils pas dans ce cas droit à leur propre groupe ? Permettre aux enseignants de réfléchir sur la langue pour renforcer leurs savoirs professionnels est primordial. En tant qu’enseignant, soit on se dit qu’il faut traiter l’exhaustivité des notions, soit on fait le choix de l’efficacité. Il faut donc accepter de hiérarchiser et de prioriser autour du nom et du verbe en appui sur les régularités et que certaines choses ne soient pas traitées avec des élèves d’élémentaire.