Arts et culture en partage

Mis à jour le 25.11.22

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Servir toutes les utopies éducatives : enjeux de l'EAC et démocratisation de la culture à l'école

Nathalie Montoya est maîtresse de conférences en sociologie à l'Université Paris-Cité. Ses recherches portent sur l'éducation artistique et culturelle, la démocratisation de la culture et les fonctions sociales des oeuvres d'art et des expériences culturelles. 

UDA 2022 Nathalie Montoya©Millerand-Les grenades-Naja

Quels sont les enjeux de l'Education artistique et culturelle (EAC) ?

Le développement de l’EAC est au croisement de l’ambition de démocratisation de la culture et des velléités de transformation de l’école. Les projets artistiques et culturels permettraient d’insuffler au sein de l’école des espaces de remédiation et de contribuer à « l’égalité des chances », au développement de la culture générale et de la créativité, à l’amélioration de certaines performances scolaires et de la motivation. L’EAC s’intègre parfaitement dans les inflexions récentes de l’école française, invitée par les évaluations internationales à se regarder dans le miroir peu flatteur de résultats globaux moyens et d’inégalités sociales maintenues, voire croissantes. L’EAC rencontre la tendance de l’école à déléguer à des dispositifs qui entourent la classe, un certain nombre de problèmes irrésolus par le fonctionnement ordinaire de l’institution, tels que le décrochage ou l’accueil de certains publics migrants ou porteurs de handicap. Instruits par la relative stabilité des inégalités sociales d’accès aux équipements culturels, les acteurs culturels considèrent, depuis fort longtemps, qu’il n’est pas de démocratisation de la culture sans un important travail de médiation et d’éducation aux expériences esthétiques et culturelles. Le projet d’EAC ouvre à la démocratisation de la culture des territoires plein de promesses. Les projets seraient ainsi susceptibles de réaliser pleinement l’une des ambitions centrales des politiques culturelles, permettre à la fois de favoriser l’expérience des objets culturels et artistiques et de contribuer au développement de la citoyenneté et de l’intégration sociale.

Comment démocratiser la culture à l'école ? 

La démocratisation de la culture a longtemps en France était tributaire d’une vision charismatique des œuvres d’art, telle qu’André Malraux la concevait : dans cette perspective, il aurait suffi d’être en contact physique avec les œuvres pour être touché par la beauté ou l’émotion esthétique. Instruit par les enquêtes de sociologie qui ont montré que les obstacles à l’expérience des œuvres étaient avant tout symboliques, ou culturels, les acteurs culturels ont progressivement infléchi la pensée de la démocratisation de la culture, mais en matière d’EAC, les dispositifs restent souvent tributaires d’une hypothèse qui tend à conférer à l’artiste des pouvoirs immédiats (et quasi magiques) de transformation des élèves et de l’école, hors de toute considération pédagogique. Les enquêtes montrent que, contrairement à ce que les discours officiels affirment, les vecteurs d’engagement des élèves et de transformation de leurs regards tiennent moins à l’expérience des œuvres ou de la créativité qu’à l’accompagnement de ces transformations par un artiste bienveillant, attentif aux élèves et perçu comme étranger à l’espace scolaire.

Des paradoxes dans l'EAC ?

L’EAC semble aujourd’hui servir toutes les utopies éducatives, même lorsqu’elles semblent relever de projets politiques contradictoires : d’un côté les projets d’EAC permettraient de sensibiliser les élèves à une forme de critique (dite « critique artiste ») du capitalisme contemporain, et de les engager dans des expériences qui s’écarteraient de l’ordinaire des rapports marchands, utilitaristes ou consuméristes. D’un autre côté, le développement de l’EAC rencontre parfaitement le projet néo-libéral de formation d’un individu autonome, rompu au fonctionnement par projet, entrepreneur de lui-même et sachant exploiter ses échecs, ses velléités aussi bien que présenter son projet d’une manière attractive. L’EAC est perçue comme le réceptacle possible de l’ensemble de ces aspirations. Elle pourrait ainsi constituer ce que Michel Foucault appelait des hétérotopies, soit des « contre-espaces » qui juxtaposent « en un seul lieu réel plusieurs espaces […] qui sont en eux-mêmes incompatibles ».