Elèves, des corps en éducation

Mis à jour le 31.12.21

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Comme le rappelle Nathalie Bonneton, « la place du corps pour apprendre est assez peu présente dans les pro grammes », exception faite à l’école maternelle où l’on se soucie plus particulièrement de répondre aux expériences sensorielles et motrices.

DOSSIER CORPS ET EPS : Élèves, des corps en éducation

Comme le rappelle Nathalie Bonneton, « la place du corps pour apprendre est assez peu présente dans les pro grammes », exception faite à l’école maternelle où l’on se soucie plus particulièrement de répondre aux expériences sensorielles et motrices.
De son côté, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande, pour les enfants âgés de 6 à 11 ans, une heure d’activité physique par jour, et pour ceux de moins de 5 ans, pas moins de trois heures. C’est dans cette même logique que le SNUip-FSU et le syndicat des enseignants d’EPS (SNEP) de la FSU proposent « 20 mesures pour apprendre en EPS à l’école primaire, développer le sport scolaire et augmenter l’activité physique quotidienne ».

UDA 2021 dossier Corps et EPS 1 ©Millerand-naja

Il s’agit tout autant de tendre vers les trois heures d’EPS inscrites au programme que d’aménager les cours de récréation pour qu’elles encouragent l’activité physique et les jeux, de rendre active la pause méridienne et le temps de garderie, comme de développer les mobilités douces.
Il faut aussi intégrer le temps extra-scolaire qui représente plus de 50% de la vie d’un enfant et est actuellement extrêmement inégalitaire en termes d’activités physiques et d’accès au sport. Les propositions des deux syndicats - par des campagnes d’incitation à la pratique physique familiale ou amicale le week-end et les vacances - ont pour objectif de diversifier l’offre d’activités physiques, sportives et artistiques, les modalités de pratiques et de rencontres, ou encore l’accès de tous les enfants à la natation.

UDA 2021 dossier Corps et EPS 2©Millerand-naja

Reportage
Les doigts, on peut compter dessus

À l’école maternelle Guébriant à Saint-Brieuc dans les Côtes d’Armor (22), les enfants sont encouragés à compter sur leurs doigts. Un travail qui permet aux élèves de comprendre la décomposition des nombres et facilite l’entrée dans la numération.
« Le travail sur l'utilisation des doigts m'a toujours intéressée et ce dès le début de ma carrière où j’essayais déjà d’inclure l’utilisation des doigts pour travailler la notion de quantité », explique Anne-Lise Calvez, enseignante de grande section à l’école Guébriant à Saint-Brieuc. « J’utilise énormément les doigts dans la décomposition des nombres », détaille-t-elle. Installés sur le tapis, les élèves montrent comment ils peuvent faire trois avec une main puis deux. Les élèves sont enthousiastes, cherchent, proposent différentes façons de faire et c’est avec fierté qu’ils utilisent des doigts habituellement peu sollicités. « Cela oblige les enfants à décomposer le nombre et leur fait prendre conscience que trois, c’est deux et encore un », précise-t-elle. Les séances de mathématiques sont couplées avec environ dix minutes de gymnastique quotidienne des doigts où l’enseignante propose différents jeux et rituels qui aident à la dextérité. Pour Anne-Lise, ce travail est important, « quand les élèves ont bien délié leurs doigts et ont conscience du nombre de doigts sur une main, ça les aide à résoudre des situations problèmes. C’est une aide parmi d’autres mais certains enfants ont besoin encore d’utiliser d’autres matériels ». Elle a pu aussi observer que des enfants qui étaient en difficulté ou en décalage en numération en début d’année, étaient capables en fin d’année de résoudre des situations problèmes d’additions ou de soustractions. Un autre avantage de cette méthode est que tout ce travail de motricité sert à d’autres apprentissages comme celui de l’écriture.

 “La motricité est un domaine très vaste”

Nathalie Bonneton UDA 2021 ©Millerand-Naja

Nathalie Bonneton est maîtresse de conférences en psychologie du développement et directrice adjointe à la recherche de l’INSPE de Bretagne.

Quelle est la place du corps dans les apprentissages scolaires ? 

La place du corps pour apprendre est assez peu présente dans les programmes de manière générale. Si elle est très présente au cycle 1 pour répondre aux besoins d’expériences sensorielles et motrices du jeune enfant, elle l’est peu à partir du cycle 2 et au-delà. Le corps est implicitement mentionné au travers de la nécessité de manipuler en mathématiques mais rien n’est précisé sur le « comment manipuler ». La place du corps est finalement assez circonscrite à des disciplines spécifiques comme l’EPS ou les arts. Ce constat est en contradiction avec les récents travaux de la psychologie et notamment avec ceux issus du courant de la cognition incarnée et située. Ce courant permet de comprendre que le système cognitif ne se réduit pas au fonctionnement du cerveau, il implique aussi le corps et l’environnement qui le contient. Dans une perspective incarnée, le corps a une part importante dans la construction des connaissances et dans la capacité à les réactiver.

La motricité, un apprentissage en soi ? 

Tout à fait mais les représentations et les pratiques des adultes, qui s’occupent d’enfants, montre que les acquisitions motrices sont souvent perçues comme relevant d’un développement spontané. En réalité, la motricité s’apprend et c’est un domaine très vaste qui prend différentes formes. La motricité globale qui implique le corps dans sa globalité, la motricité fine qui concerne plus spécifiquement la motricité manuelle et bi manuelle, et aussi quelque chose de très important pour la réussite scolaire, l’oculomotricité qui est la capacité à orienter et stabiliser son regard sur une cible précise. Toutes ces formes de motricité doivent être soutenues en donnant des occasions d’actions et en respectant les possibilités développementales des enfants. Je pense que dans certaines écoles il existe une tendance à proposer trop tôt des apprentissages auprès d’enfants qui n’ont pas le développement neuro-moteur suffisant, c’est le cas de l’écriture cursive. Cela peut créer de la crispation et de la difficulté scolaire là où il ne devrait pas y en avoir.

                                      "Les recherches montrent que les représentations motrices jouent le rôle de ciment
                                                                    entre des représentations auditives et visuelles" 

Comment peut-elle soutenir les autres apprentissages ? A quelles conditions constituent-elle une réelle plus-value ? 

Pour apprendre à lire, à écrire ou pour conceptualiser des concepts géométriques, les recherches montrent que les représentations motrices jouent le rôle de ciment entre des représentations auditives et visuelles. La motricité soutient la mémorisation en général. Par ailleurs, à l’école, il est généralement attendu que les élèves bougent le moins possible. Pourtant certaines recherches sur le vocabulaire montrent que les enfants mémorisent mieux s’ils sont en mouvement au cours de l’apprentissage. Réaliser un mouvement pour représenter le mot ou produire un geste symbolique renforce son apprentissage. Dans le champ de la numératie, les travaux montrent que la motricité manuelle via le recours aux doigts contribue à la construction du nombre et à l’entrée dans le calcul. Cependant, certaines recherches montrent aussi que la motricité pour apprendre est une réelle plus-value par rapport à un apprentissage plus classique à condition que le développement moteur de l’enfant soit suffisant et que la tâche motrice ne constitue pas une charge cognitive supplémentaire ou qu’elle n’interfère pas avec l’activité cognitive elle-même.

Quelles sont les limites ou obstacles que rencontrent les PE ? 

En France, les besoins moteurs n’ont généralement pas été pris en compte au moment de la conception des écoles et de l’aménagement des espaces scolaires. À l’exception de constructions contemporaines, les espaces dédiés à la motricité globale sont réduits, voire inexistants pour les grandes classes. Accompagner le développement moteur est un véritable défi pour les enseignants qui n’ont pas toujours les repères sur ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire avec les élèves du fait d’un manque de formation continue sur ces questions. Au sein d’une classe, il y a de fortes hétérogénéités entre les élèves, il peut y avoir deux années d’écart de développement. Dans un système scolaire qui se veut inclusif, on peut regretter le manque d’outils pour évaluer les capacités motrices des élèves. C’est un enjeu auquel nous devons collectivement répondre d’autant que les travaux montrent une corrélation entre motricité et réussite académique ultérieure d’un enfant.

UDA 2021 dossier Corps et EPS 3©Millerand-naja

EPS, vitamine scolaire
Eclairage

Alors que le ministre entretient une confusion entre sport et EPS, cette discipline scolaire revêt des enjeux de santé publique et de lutte contre les inégalités. Elle constitue une ouverture culturelle sportive fondamentale dans la construction du citoyen et de la citoyenne. Et malgré l’absence de formation, des écoles se « vitaminent » à l’EPS, comme en témoigne une enquête menée par le SNEP et le SNUipp-FSU.
L’EPS Réalisée auprès de 28 écoles dans lesquelles les PE enseignent eux-mêmes l'EPS à raison d’au moins deux séances par semaine en élémentaire et quotidiennement en maternelle, une enquête conjointe menée entre 2020 et 2021 par le SNEP-FSU (Syndicat national de l’éducation physique ) et du SNUipp-FSU, met en avant des dynamiques à l’œuvre. Conçue comme un observatoire de pratiques déclarées, elle donne à voir les conditions d’un enseignement effectif de la discipline. Travail en équipe, organisation d’évènements, conscience des enjeux et proximité des équipements semblent être des données clés pour ces écoles « vitaminées à l’EPS ».

2h17  La question du temps est une donnée fondamentales dans la mise en œuvre des programmes, en particulier dans un contexte de pression sur le lire-écrire-compter. 

Elle l’est d’autant plus en EPS avec des installations matérielles nécessaires et parfois des déplacements qui consomment de précieuses minutes. Si on déduit les temps de récréation, les temps de transition, dits proto-didactiques, trop souvent impensés et pourtant sources d’apprentissages de vivre ensemble, l’horaire possible alloué à l’EPS est de 2h17 et non de 3H. La mise en évidence de ce temps réel disponible est source de soulagement pour les équipes. Et ce sont les projets divers, tels que les rencontres, les sorties vélos, les spectacles, les classes découvertes qui permettent d’atteindre l’horaire officiel annualisé.

“Enseigner à hauteur des programmes relève du militantisme”

Claire Pontais UDA 2021 ©Millerand-Naja

Claire Pontais est agrégée d’EPS et ancienne formatrice à l’INSPE de Caen. Elle est également responsable de la formation au Snep-FSU et au centre « EPS et société ».

Quelles activités permettent de répondre aux enjeux de l'EPS ? 

La crise sanitaire a remis en avant les enjeux de santé. Un quart des enfants n’ont aucune activité sportive en dehors de l’école et seulement 10% des parents ont une activité physique avec leur enfant tous les week-ends. L’école a donc un rôle primordial à jouer pour permettre en même temps le développement physique de tous les élèves, l’accès à la culture sportive ou artistique et la réduction des inégalités sociales, genrées ou territoriales. L’EPS doit permettre à l’élève d’apprendre à connaître son corps tout en construisant des pouvoir d’agir tels que les savoir nager, danser, se déplacer, jouer collectif… Bien sûr, on fait référence aux pratiques sociales, sports et danses mais cela suppose de les adapter aux enfants et de les traiter pour l’école. Il y a une grande diversité d’activités possibles, le plus important est qu’elles soient adaptées aux conditions d’enseignement de l’école primaire, pensées pour de jeunes enfants, avec des profs polyvalents, en intégrant les finalités de l’école. Compte tenu des contraintes qui pèsent sur les PE, je plaide pour une EPS « faisable ». Par exemple, la jonglerie est très peu enseignée, quasiment absente des programmes. Or, faire des exploits avec un ballon – le faire rebondir longtemps, le lancer et le rattraper – est un défi qui a du sens pour les élèves, et qui peut se faire dans quasiment toutes les écoles.

La série de dispositifs institutionnels ne valorisent-ils pas l'EPS ? 

Le ministre veut faire croire qu’il s’y intéresse, mais il entretient la confusion sur les finalités de l’EPS à l’école, dans le but de faire entrer un grand nombre d’intervenants dans l’école. L’EPS n’est ni du sport tel que conçu dans les clubs, ni simplement gigoter. Pour « bouger 30mn par jour », on n’a pas besoin d’enseignants. De même les dispositifs tels « Générations 2024 », le « 2S2C », « une école/un club » sont tous conçus pour augmenter le rôle des intervenants extérieurs. C’est cohérent avec la pression permanente sur le français et les maths et la volonté d’orienter l’école vers un socle restreint. Aux PE le « lire, écrire, compter », à d’autres personnels, toutes les matières qui ont une teneur culturelle et pourraient être à terme privatisées. C’est un enjeu fort pour l’avenir du métier de prof d’école.

"L"EPS doit permettre à l'élève d'apprendre à connaître son corps tout en construisant des pouvoir d'agir"

Quelles sont les difficultés et les leviers de cet enseignement ? 

L’enquête que nous avons menée sur des « écoles vitaminées » en EPS montre que la contrainte du temps pèse fortement sur l’EPS. Faire 45 mn d’EPS par jour, comme recommandé sur éduscol, est un idéal aujourd’hui impossible à tenir. Les écoles qui réussissent à assurer les horaires ont toutes des équipements au sein de l’école ou très proches et « complètent » leur horaire d’EPS par des rencontres ou des évènements sportifs, stages, sorties, spectacles… Il faut donc à la fois déculpabiliser les enseignantes et les enseignants qui courent sans cesse après le temps et les aider à mettre en œuvre des séances d’EPS le plus souvent possible, sans que cela demande une énergie folle. Le manque de formation est évidemment un frein, tout comme la suppression des conseillers pédagogiques en EPS. On se prive d’un accompagnement au plus près des personnels et d’une dynamisation de l’EPS en relation avec l’USEP. Dans certaines écoles, les équipes ont choisi d’avoir une personne ressource en EPS, pourquoi ne pas généraliser ce système en développant la formation continue ? Ailleurs, des collègues travaillent en co-intervention, ce qui est à la fois rassurant, facilitant et source de plaisir partagé. La preuve qu’il y a des solutions pour dynamiser l’EPS dans les écoles, encore faut-il qu’il y ait la volonté politique de les développer. Aujourd’hui, enseigner l’EPS à la hauteur des enjeux et des programmes relève du militantisme, c’est un obstacle à une généralisation.

Une particularité pour le "savoir nager" ? 

Là comme ailleurs, le nombre de piscines est déterminant, tout comme la formation. Apprendre à nager à l’école est une nécessité, non seulement pour se sauver mais pour avoir des loisirs actifs. On pourrait développer les stages de natation, sur le modèle de classe découverte, qui permettent des apprentissages massés très efficaces.