"Un moment de démocratie"

Mis à jour le 12.12.18

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Laurent Frajerman est spécialiste de l’engagement chez les enseignants

QUELS SONT LES ENJEUX DES ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES ?

LAURENT FRAJERMAN : C’est d’abord un grand moment de démocratie sociale, la possibilité pour tous les enseignants de désigner des représentants qui ont une légitimité à les défendre et à porter leurs demandes. Les commissions paritaires n’ont qu’un rôle consultatif mais dans la pratique, l’administration ne s’exonère pas de ses avis. Quand elle est face à un syndicalisme puissant, un partenaire légitimé par le vote, elle a tout intérêt à écouter ce qu’il dit. On est dans un État de droit et l’expertise des élus du personnel l’aide à éviter des erreurs. Cette interaction, cette « collaboration conflictuelle », s’exerce entre une administration pas toujours efficace, qui peut faire des erreurs, qui a du mal à gérer de façon humaine un grand nombre de personnes, et des élus qui représentent leurs intérêts. Il y a pourtant toujours eu dans la haute administration des gens qui souhaitaient remettre en cause ce système.

ILS N’Y ARRIVENT PAS ?

L. F. : Non, pour deux raisons. La première, c’est la combativité des enseignants des écoles et le risque, qui est grand, de ne pas écouter les corps intermédiaires. La deuxième raison est tout simplement que le système fonctionne mieux avec la participation des élus syndicaux. Les responsables administratifs les plus intelligents le savent très bien. D’autant qu’un enseignant qui s’estimerait lésé par une décision non conforme aux règles peut l’attaquer au tribunal administratif. Et les exemples foisonnent de jugements qui condamnent l’administration alors qu’elle n’avait pas tenu compte de l’avis des élus syndicaux.

QU’EST-CE QUI FAIT LA DIFFÉRENCE ?
L. F. : L’enjeu est tout aussi important pour l’école en général. On « délivre un message » à l’occasion du scrutin en apportant son soutien à telle ou telle orientation syndicale. Une qui entend par exemple conjuguer l’intérêt des élèves et celui des enseignants, qui porte des valeurs, plutôt qu’une autre qui ne serait centrée que sur l’un ou l’autre de ces aspects. Parce que les instances paritaires vont aussi discuter de projets qui concernent directement l’organisation de l’école et les conditions d’enseignement. Où l’avis et les propositions des élus, même s’ils ne sont pas toujours entendus, sont toujours écoutés.

QUEL RAPPORT ENTRETIENNENT LES ENSEIGNANTS AVEC LEURS REPRÉSENTANTS ?

L. F. : Pour les enseignants des écoles, le rôle d’information, d’aide au moment des mutations, des promotions, de toutes ces opérations qui rythment la carrière est très important, même s’ils ne perçoivent pas toujours précisément tous les contours de ce travail. L’enquête Militens* montre que 80% des enseignants ont contacté un syndicat, le plus souvent le syndicat majoritaire, dans les cinq dernières années. Ils considèrent les informations qui leurs sont données comme fiables et crédibles, ils en sont satisfaits à plus de 90%. Ce qui n’empêche pas un phénomène, qu’on rencontre partout, d’éloignement vis-à-vis des corps intermédiaires et des organisations constituées. Avec le sentiment d’une forme d’extériorité, de méconnaissance du travail syndical, y compris de celui des élus. On apprécie les syndicats enseignants pour leur expertise, la qualité de leurs informations mais ils sont aussi perçus comme des institutions. Ce qui est un paradoxe, parce que si le syndicat ne bénéficie pas d’un soutien clair lors des élections, son travail face à l’administration s’en trouve affaibli. 

CES ÉLECTIONS RESTENT DONC IMPORTANTES ?

L. F. : Le côté institutionnel des syndicats pourrait amener à considérer qu’on n’a pas besoin de voter. Ce serait une erreur que de penser cela. La tentation de se passer des élus syndicaux, du rôle qu’ils jouent, aurait de sérieuses conséquences pour les personnels qu’ils représentent. Sur leur carrière par exemple, avec un retour du pouvoir discrétionnaire de telle ou telle autorité, de favoritisme, de choix arbitraires que le système consultatif mis en place au début du XXe siècle a permis progressivement d’interdire par l’établissement de règles qui s’appliquent à tous. Un contre-pouvoir qui reste fragile si les enseignants ne montrent pas qu’ils y sont attachés. 

*questionnaire scientifique travaillé par un laboratoire de sciences politiques sur un échantillon représentatif de la Depp.

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