Un drapeau de tous les noms

Mis à jour le 03.09.22

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Reportage au Blanc-Mesnil où les PE éduquent contre le racisme dès le plus jeune âge.

Dans la classe de MS/GS de l’école Anne Franck du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), les PE travaillent à éduquer contre le racisme dès le plus jeune âge. 

 « Touche pas à mon prénom » est une œuvre présentée au concours de la MGEN « Nous autres », qui consiste en un grand drapeau français sur lequel sont écrits à la peinture, dorée les prénoms des élèves de la classe de Moyenne section/Grande section (MS/GS) de l’école Anne-Franck du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis). Ce concours est l’occasion pour les élèves, de la petite section de maternelle au lycée, de travailler sur l’éducation contre le racisme. « Éduquer à la citoyenneté, à l’appartenance à la nation, à la lutte contre le racisme ont toujours été des sujets qui me tenaient à cœur, sûrement car je suis moi-même issue d’une famille d’immigrés, explique l’enseignante Hanane Oulaillah-Jazouani. Le concours m’a permis de me saisir de ce sujet dans un cadre précis. Nous avons réalisé des ateliers philosophiques au cours desquels nous avons abordé la différence ou encore le respect de l’autre tout en menant aussi un projet multidisciplinaire. Nous avons travaillé sur les formes géométriques pour construire nos drapeaux, le graphisme et les lettres de l’alphabet pour écrire tous les prénoms… ». Dès novembre 2021, la classe de MS/GS travaille sur le drapeau français. « On a fait de la peinture, du bleu, du blanc et du rouge tous ensemble pour faire un grand drapeau », explique Édenne, élève de GS. Le drapeau est une toile de 75 cm sur 115 peinte avec de la peinture acrylique. Zola, Mohamed, Léana, Naïl, Samuel… ont ensuite écrit leur prénom à la peinture dorée avec application. Des paillettes ont été ajoutées. « Nos prénoms, ils sont précieux, c’est pour ça qu’on a mis des paillettes et on a mis du vernis après pour que ça brille beaucoup », complète Isaac, élève de MS. La MS/GS est la seule classe lauréate de maternelle. C’est donc non sans fierté que le 10 mai dernier, les vingt-six élèves de la classe sont allés au Musée d’Orsay recevoir leur prix, un bon d’achat de livres d’une valeur de cent euros. « On a pris le car, ça a duré longtemps… longtemps », raconte Naïl. « On a même vu la Tour Eiffel, elle est géante », ajoute Sojoud. « Quand on est allé au musée du quai Branly, on a vu Lilian Thuram, le footballeur ! Il est comme Thierry Henry et Kylian Mbappé, il faisait du foot avant », s’écrit Mohamed, fan de foot. « C’est parce que quand il était petit, on lui a dit qu’on n’aimait pas sa couleur de peau car il était noir. Il a alors décidé de lutter contre le racisme », ajoute Édenne avec gravité. « On était content de notre travail », se souvient Zola.

Semer des petites graines de citoyenneté

« Certains peuvent penser qu’évoquer cette thématique avec des élèves si jeunes n’est pas très pertinent. Je pense qu’au contraire, c’est très tôt que le sentiment d’appartenance doit être construit, il s’agit de semer de petites graines qui vont germer, que ces enfants prennent conscience de leur légitimité en tant que citoyens français dès le plus jeune âge », explique l’enseignante, consciente que ses élèves aux prénoms parfois « exotiques » seront très tôt confrontés à des situations stigmatisantes, voire racistes. « C’est le rôle de l’école que de poser les bases de la citoyenneté », ajoute-t-elle. Quand on interroge ces enfants de quatre et cinq ans sur ce que signifie le racisme, les réponses fusent. « Si quelqu’un dit « je veux jouer avec toi » et qu’on répond « non » parce qu’il n’a pas la même couleur de peau, c’est du racisme et c’est pas bien car ça fait mal au cœur », explique Édenne. « On a plein d’origines différentes mais on a tous le même drapeau, on parle tous français, on grandit tous dans le même pays, on est tous Français ! », ajoute Isaac malgré son jeune âge. Dessiner un drapeau français sur lequel sont écrits en peinture dorée les prénoms d’élèves de toutes origines n’est pas anodin dans le climat politique des derniers mois, Hanane Oulaillah-Jazouani ne nie pas la valeur hautement symbolique de ce projet. Peut-être que finalement la solution réside dans ce type d’actions : semer des petites graines dans les esprits des enfants, leur inculquer très jeunes et avec force leur appartenance à la nation, une nation aux origines diverses et multiculturelles. « C’est tout de même à l’école que ce travail doit se faire, c’est son rôle », affirme l’enseignante.

FRANCINE NYAMBEK-MEBENGA est maîtresse de conférence en sciences de l’éducation à l’UPEC, Université Paris-Est Créteil

FsC 484 Francine Nyambek-Mebenga

Peut-on éduquer à la lutte contre le racisme dès la maternelle ? 

Oui, mais en France, il existe une certaine réticence à mettre en place une éducation contre le racisme tôt, comme en témoigne le silence sur la question dans les curricula scolaires du cycle 1. Pourtant, la littérature sociologique sur l’enfance, principalement états-unienne, montre une intégration de l’ordre racial et une manifestation précoce du racisme chez les enfants. 

Comment expliquer cette réticence ?  

Malgré le fait qu’il n’y ait que très peu de travaux sur l’enfance et la race en France, on peut essayer de comprendre cette réticence de plusieurs façons. Une première explication serait à mettre sur le compte du tabou de la question raciale en France. On peut aussi expliquer cette réticence par la prédominance d’une approche morale du racisme, qui tend à le considérer comme une déviance. Et pour finir, la vision de l’enfance comme monde encore préservé des rapports sociaux en général éclaire cette réticence. Pourtant, les travaux de recherche ont montré qu’à l’instar de la société, l’école est un lieu d’expériences du racisme et de socialisation raciale. Pour la plupart des enfants caractérisés comme Noirs, c’est bien souvent à l’école, et au détour d’une parole enfantine, qu’ils se découvrent Noirs. Éduquer contre le racisme dès la maternelle apparaît donc comme une nécessité éducative majeure ainsi qu’un enjeu de justice.

De quelle manière éduquer ?  

Les concours permettent à la fois de mettre à distance et de prendre en charge la question en attendant la révision des curricula qui permettraient aux PE d’agir dans le cadre de leur pratique. On peut donc se saisir très tôt de ces questions pour les conscientiser dans le cadre d’un apprentissage socio-émotionnel et de l’éveil contre les injustices sociales.

FsC 484 reportage blanc-Mesnil

UN CONCOURS POUR ÉDUQUER CONTRE LE RACISME

Tous les ans, la MAIF et la Fondation Thuram organisent un concours ouvert à tous les élèves de la petite section à la terminale pour éduquer contre le racisme. Les classes sont invitées à répondre à ces questions : « Pourquoi tant de Français croient-ils encore qu’il y a plusieurs races ? Combien de temps faudra-t-il à notre société pour intégrer une idée aussi simple : la couleur de la peau d’une personne, son apparence physique, n’ont rien à voir avec la langue qu’elle parle, la religion qu’elle pratique, les valeurs et le système politique qu’elle défend, ce qu’elle aime ou déteste… ? ». Les
œuvres peuvent être poétiques, sous format vidéo ou encore photographiques… Inscription du 1er septembre au 9 mars sur CONCOURSNOUSAUTRES.FR

RESSOURCES DU RÉSEAU CANOPÉ

Afin de lutter contre le racisme et l’antisémitisme, le Réseau Canopé met à disposition des enseignants et enseignantes une plateforme dédiée, regroupant un ensemble de ressources - apports scientifiques, outils pédagogiques et propositions de projets avec des partenaires - pour « comprendre, agir en classe et agir avec des partenaires ». À retrouver sur RESEAU-CANOPE.FR

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