Tissage culturel

Mis à jour le 26.05.21

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Reportage à Cambon où , entre danse et œuvres d’artistes, la culture reste un essentiel.

« Plus on rencontre art et culture, plus ça devient notre univers. L’idée est de tutoyer les œuvres », confie Véronique Grillon, enseignante en CE2 à l’école de Cambon dans le Tarn. Il est vrai que pour les neuf enseignantes de ce groupe scolaire, l’éducation artistique et culturelle s’intègre dans un temps long et une dynamique d’école. Un riche parcours, associant médiations autour des œuvres, rencontres d’artistes et pratiques de création, se construit en équipe chaque année.
Ainsi, dans le cadre « d’œuvres passagères », en partenariat avec le centre d’art contemporain d’Albi, l’école reçoit 3 ou 4 œuvres d’artistes contemporain•es qui tournent au sein de l’école, chaque classe ayant à charge de la présenter à la classe suivante, le plus souvent de manière ludique. La sélection se fait en amont avec la médiatrice du centre. Un temps d’échanges qui prend figure de formation. Chaque classe suit une démarche similaire de lecture de l’œuvre axée sur ce que l’on voit, ce à quoi cela fait penser, ce que l’artiste aurait pu faire. Après la phase de découverte et de questionnement, les élèves créent leurs propres productions en s’inspirant d’un élément déclencheur repéré dans l’œuvre. En fin d’année, une exposition est organisée où ils deviennent alors de véritables commissaires puisqu’ils ont en charge la scénographie, la réalisation des cartels, la présentation de leurs œuvres et de celles des artistes et la coanimation d’ateliers interactifs.

reportage danse

Démarche curriculaire

Au sein de l’équipe, la satisfaction et le plaisir sont unanimes. « Le projet donne une échéance contractuelle et oblige à investir des domaines moins maîtrisés, explique Véronique. Collectivement, on a moins peur de se lancer, cela donne confiance en notre professionnalité ». « C’est un véritable moteur qui enrichit la culture des enfants, des familles et la nôtre », précise Florence, enseignante en CE2. « Les enfants deviennent transmetteurs et cela permet de créer un lien avec les familles sur un dispositif moins formel que les réunions de rentrée et plus pédagogique qu’une simple fête de fin d’année », complète Marielle, maîtresse des MS-GS.
Du point de vue des apprentissages aussi, les avis sont sans équivoque. Les enseignantes constatent une expertise acquise progressivement dans l’analyse des œuvres, un lexique enrichi et réinvesti dans d’autres disciplines et une précision de la pensée qui progresse au fil des ans. Elles parlent aussi de confiance en soi, de coopération, d’implication dans les apprentissages ou de développement de l’imagination. « Cette démarche oblige à sortir de jugement binaire, du juste ou faux », précise Audrey, enseignante en CP-CE1. « On redéfinit les critères normatifs de beauté, on apprend à donner un avis argumenté et à partager ses ressentis en acceptant celui des autres. » Véronique indique qu’il y a « une libération qui se retrouve dans d’autres formes de production. La peur de la page blanche disparaît car toutes les idées s’autorisent. »

Danser la mine

Mais l’élaboration d’une culture artistique commune ne s’en tient pas là. Cette année, les élèves de CE2 de Véronique participent aux « rencontres de la danse », en partenariat avec l’ADDA* du Tarn. Le projet est étayé par les apports d’une chorégraphe, l’intervention d’une plasticienne sonore pour élaborer le paysage musical, ou encore la visite de la mine à ciel ouvert de Carmaux. Les enfants sont ainsi amenés à travailler des connaissances patrimoniales comme à expérimenter une forme sonore particulière ou à acquérir des compétences en expression corporelle. L’enseignante veille au tissage entre les différentes entrées pour favoriser le sens et assoir les apprentissages.
Deux fois par semaine, les élèves dansent et réfléchissent aux gestes permettant d’exprimer la solidarité des mineurs, mais aussi le drame d’un coup de grisou ou les mouvements mécaniques des machines. Tour à tour, acteurs et spectateurs coopèrent et s’affirment, s’appuient sur la diversité des mouvements trouvés, les verbalisent et les affinent. Par exemple, Raphaël témoigne des propositions d’un camarade : « J’ai aimé quand il relâche sa tête et qu’il penche tout son corps, c’est fluide. »
Ils apprennent également à équilibrer l’occupation de l’espace, à préciser leurs intentions, les choix corporels ou les déplacements. Un cahier de danse vient appuyer cette démarche. Introduit après plusieurs séances de recherche libre, il relate les différentes phases de la chorégraphie, les points travaillés, les perspectives d’amélioration. Cette trace de la réflexion créatrice est aussi une occasion de mener un travail sur la géométrie en indiquant les alignements ou d’enrichir le lexique gestuel comme sémantique. La mobilisation de l’ensemble des élèves appuyée par une exigence de réalisation, d’argumentation et d’écoute des autres donnent à voir une appropriation de ces espaces de liberté créative. « La culture est centrale, elle est un support et une ouverture sur les autres, le monde, l’art et les savoirs », éclaire Véronique.
* Association départementale pour le développement des arts.

JM Lauret

Jean-Marc Lauret est  inspecteur honoraire au ministère de la Culture

Quelle légitimité pour l’éducation artistique et culturelle ?

Deux conceptions s’affrontent depuis longtemps : une dimension transversale des domaines du socle commun des compétences, des connaissances et de culture ou un supplément d’âme surtout utile à l’élite sociale. Considérer la culture comme « non essentielle » trahit cette seconde conception implicite aujourd’hui dominante.

Quel est l’enjeu ?

On met souvent en évidence ses effets extrinsèques. Outre une conception instrumentale, cette vision me paraît peu féconde et surtout dangereuse. Par exemple, lorsque les ministres de la culture et de l’Éducation nationale* définissent l’acquisition de l’éloquence comme enjeu de l’art dramatique. Sa finalité est-elle de former les enfants à tenir un rôle dans la société et à être plus compétitifs grâce au pouvoir que confère l’éloquence ou à s’épanouir et gagner en capacité d’expression personnelle ?

Quelles conditions pour que l’EAC joue son rôle ?

Outre les enjeux budgétaires évidents, il faut réaffirmer l’apport spécifique de la rencontre avec des artistes, en particulier dans l’initiation aux démarches de la création. Il faut surtout rappeler le rôle central des enseignants, créer les conditions pour qu’au contact des artistes ils gagnent en autonomie. Dépasser le cercle restreint des militants de l’éducation artistique et culturelle. L’exigence de qualité des projets et le principe d’égalité passent par des formations conjointes ou croisées entre enseignants et artistes, formations qui ont complètement disparu.
* Conférence de presse du 17 septembre 2018 : « Un enseignement hebdomadaire d’éloquence (dans les collèges) permettra d’initier une nouvelle dynamique pour la généralisation des troupes de théâtre ».

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