"S'autoriser à être critique"

Mis à jour le 14.01.19

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Dominique Cau-Bareille explique l’importance de se réapproprier la prescription

Exergue : « Avoir de la distance à l’égard des discours institutionnels et conserver une autonomie de pensée pour durer dans le métier. »

Vous évoquez une intensification du travail, c’est-à-dire ?

L’intensification et la complexification du travail, en France comme en Europe, passe par des réformes fréquentes au gré des changements de ministre, neuf en 17 ans. Cela contraint les enseignants à s’engager dans des processus de changements permanents sans qu’aucune validation de la pertinence des réformes n’ait lieu car elles sont le plus souvent pensées en dehors des intéressés. Les programmes sont alourdis, les méthodes pédagogiques de plus en plus contraintes, réduisant l’autonomie et les marges de manœuvre dans l’organisation quotidienne du travail. Les effectifs comme le nombre d’enfants à besoins éducatifs particuliers sont de plus en plus importants, rendant le travail plus difficile, plus coûteux en préparation, en répartition de l’attention, source de tensions et difficultés. Enfin, les évaluations standardisées introduisent une logique comptable de performance qui voudrait rendre les enseignants seuls responsables de la réussite ou de l'échec de leurs élèves.

Quels impacts sur les PE ?

Ces transformations du métier participent à une fragilisation globale de la santé des enseignants qui peuvent se traduire par des dépressions et des envies de quitter le métier prématurément alors même qu’ils l'aiment profondément. Cela aboutit aussi à une lassitude de l’innovation, à des phénomènes d’usure organisationnelle à l’origine d’usure physique et mentale. Lorsque l’on interroge les enseignants, on note des dissonances de plus en plus fortes entre ce qu’ils voudraient faire pour réaliser un travail de qualité et ce que l’institution attend d’eux. Cela ne débouche pas seulement sur une activité empêchée. Beaucoup d’enseignants retravaillent la prescription dans le huis clos de la classe, à la fois parce qu'elle n'est pas toujours adaptée à la réalité du terrain, mais aussi pour garder le sens du métier, pour dérouler une activité en cohérence avec leur éthique professionnelle, leur expérience… mais souvent avec beaucoup de culpabilité et de façon trop individuelle.

Comment se réapproprier le métier pour mieux le vivre? 

Il y a plusieurs pistes à explorer. Une première serait pour les enseignants de s’autoriser à être critiques vis-à-vis de la prescription. Selon une étude que nous avons réalisée en 2016 sur les facteurs qui permettent de bien durer dans le métier enseignant, deux éléments ressortent particulièrement : avoir de la distance à l’égard des discours institutionnels et conserver une autonomie de pensée. C’est-à-dire une posture critique à l’égard de l’institution, d’affirmation de choix personnels et d’un style professionnel. Une seconde piste serait sans doute de créer des espaces réflexifs réguliers au sein des écoles pour pouvoir discuter de ce qui fait problème dans le travail, ce qui fait tension du point de vue des prescriptions et trouver des réponses collectives aux difficultés. L’activité collective peut aider à la prise de décision par la mutualisation des compétences des membres de l’équipe, être un lieu de partage des connaissances, et d’aide à la conceptualisation. Elle est un élément essentiel de santé, de plaisir au travail. 

Quelle place pour la formation ?

Une troisième piste consisterait à (ré)investir la formation continue comme un lieu de débat sur les évolutions du travail, sur les différentes formes de prescriptions, où l’on peut prendre le temps de « penser son travail » avec d’autres. Nous menons actuellement une recherche sur la formation continue au sein du Chantier travail et syndicalisme de l’Institut de recherches de la FSU. Les premiers résultats montrent dans le premier degré une réduction de l’offre de stages de formation continue et un appauvrissement des contenus. Les enseignants souvent s’autocensurent dans la participation à ces stages car ils craignent de ne pas être remplacés dans leur classe. Il y a là une belle bataille syndicale à mener.

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