« Résister collectivement »

Mis à jour le 03.09.19

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Olivier Maulini, professeur à l’université de Genève, explique comment reprendre la main sur le métier

Dans son dernier livre : « Éduquer, entre engagement et lucidité » (2019, ESF sciences humaines), Olivier Maulini aborde le paradoxe actuel d’une profession enseignante fragilisée mais qui peut construire collectivement les leviers de reprise en main du métier.

« Éduquer entre engagement et lucidité », qu’entendez-vous par là ? 

Olivier Maulini : Le livre est parti d’un constat paradoxal. Plus l’école et le métier d’enseignant sont idéalisés dans un contexte donné, moins bien ils vont. Moins les enseignants se sentent reconnus, soutenus et moins d’ailleurs ils le sont. D’où le titre : comment conserver l’engagement pour l’école, l’émancipation par la connaissance tout en étant lucide sur les manières dont les choses se passent ? Comment conjuguer réalisme et idéalisme ? Dans les métiers de l’enseignement, cette question devient de plus en plus vive car, dans nos sociétés, l’école est considérée comme une arme absolue pour créer du lien social, du vivre ensemble. Plus on attend de l’école, plus elle risque de décevoir.

Qu’est-ce qui fragilise la profession ? 

O.M. : Aujourd’hui, le savoir et l’éducation sont saisis par la compétition globalisée qui met sous pression les systèmes scolaires avec tous les classements internationaux… Face à cette pression et à la montée des opportunismes, la tentation pour le monde enseignant peut être de se replier sur une forme d’académisme abstrait : celui du professeur tout-puissant. Or cet idéalisme clivant ne va pas contribuer à la réussite des élèves notamment les plus en difficulté. Une troisième voie pédagogique privilégie des approches plus interactives, qui vont chercher les élèves là où ils sont et cela nécessite des savoirs professionnels. Mais cette voie demande de raisonner au lieu d’agiter les passions. Les controverses autour de la « bonne pédagogie » sont malheureusement d’autant plus vives que la valeur des savoirs est elle-même fantasmée. Consumérisme et invectives font alors alliance pour saper le prestige de l’école : le fameux « déclin de l’autorité ». Plus on est dans une tradition politique verticale, plus le rapport idéalisé à l’autorité est en fait contraire à ce qui permet, dans les faits, de progresser.

« Le travail empêché fait souffrir mais peut être une source de développement professionnel »

Quel est ce « tourment du travail empêché » ?

O.M. : Le travail empêché, c’est tout ce qu’on voudrait faire et que l’on ne parvient pas à faire. Il est constitutif du fait même de travailler. Cela peut venir de difficultés avec les élèves, ses collègues, les parents ou les décisions ministérielles… Ce sentiment fait souffrir mais peut être une source de développement professionnel. De plus en plus d’équipes travaillent avec des chercheurs ou des formateurs pour analyser leur travail, se filmer, se confronter. Cela permet de sortir des fantasmes du « métier idéal », en faisant la part entre les empêchements qui peuvent être dépassés et ceux qui donnent son sens à l’engagement. Beaucoup d’enseignants risquent le découragement voire le burn-out parce qu’ils sont déçus et s’épuisent au travail. Seul résister collectivement permet de rompre l’isolement professionnel.

Comment reprendre la main ?

O.M. : Si la crise est collective, des enseignants peuvent aller chercher du réenchantement individuel et mettre leur activité « sous soins palliatifs », en y ajoutant un peu de discipline positive, de yoga… Mais plus les recettes sont extérieures au métier, plus elles le dessaisissent de lui-même. Faire face à l’adversité demande une solidarité collective, construisant de l’autonomie et des critères partagés du « bon travail » : en équipe, avec les autres enseignants, avec les syndicats… L’école ne sera pas respectée en étant « gentille », mais combattive. Si l’autorité de statut décline, seule l’autorité de compétence peut s’imposer. On demande aux futurs enseignants d’avoir un master avant de suivre une formation professionnelle express d’un an. Alors que d’autres pays forment leurs enseignants sur trois, quatre ou cinq années en intégrant pratique et théorie. Se réapproprier les références professionnelles permet de ne pas tout prendre sur soi quand arrive une difficulté. 

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