Marseille, les PPP de Damoclès

Mis à jour le 12.12.18

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Écoles dégradées, insalubres, le maire de Marseille fait appel aux majors du BTP

Écoles dégradées, insalubres, le maire de Marseille fait appel aux majors du BTP au risque de perdre la main sur le bâti scolaire.

« Conseil d’école après conseil d’école, nous dressons la même liste de ce qui ne va pas : infiltrations d’eau jusque dans les classes, dalles du plafond qui s’écroulent la nuit dans le meilleur des cas, toiture refaite il y a cinq ans qui demande déjà à être colmatée, portes coupe-feu qui ne se ferment pas… On s’habituerait presque à la misère ! ». Patrice Plagnes, directeur de l’école National dans le 3e arrondissement de Marseille ne cherche même pas à masquer son dépit. Depuis plusieurs années la ville de Marseille est régulièrement épinglée pour la gestion catastrophique de ses écoles. Salles inondées en période de fortes pluies, plafonds effondrés, sanitaires et plomberies cassés, présence de parasites, chauffage en panne, poignées de porte brisées, huisseries en mauvais état… La liste est longue des petits et des gros soucis touchant une grande partie des écoles marseillaises. Le SNUipp-FSU 13 qui a mené une enquête auprès des directrices et directeurs confirme ce tableau noir. « Comme il y a deux ans et demi, l’insalubrité des écoles est soulignée par nos collègues » explique le syndicat. Dans certains quartiers, le ras-le-bol suscite une forte mobilisation, comme dans le 3e justement, où un collectif de parents met régulièrement en ligne des photos témoignant de ces situations insupportables.

UN IMPROBABLE COLLECTIF CONTRE LES PPP

En 2016, suite au buzz suscité par la lettre ouverte de la lanceuse d’alerte Charlotte Magri, la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem avait réuni tous les acteurs en préfecture, exigeant un plan pour les 444 écoles de la ville. Deux ans plus tard, rien n’a vraiment changé sauf qu’en avril dernier, le maire Jean-Claude Gaudin a lancé le Plan école d’avenir prévoyant la destruction et la reconstruction de 28 écoles de type Pailleron et la construction de six nouveaux établissements. L’investissement dépassant le milliard d’euros sur 25 ans, serait réalisé dans le cadre d’un Partenariat public privé (PPP). « Au départ, nous ne voyions pas où était le mal, mais après nous être renseignés, on s’est rendu compte qu’il y avait un problème », commente Pierre-Marie Ganozzi, secrétaire départemental de la FSU. Les syndicats enseignants créent alors un collectif « et, poursuit le syndicaliste, nous avons rencontré d’autres organisations qui partageaient nos inquiétudes ». Ainsi s’est constitué un improbable Collectif Marseille contre les PPP réunissant, les enseignants, les représentants du Mouvement des parents d’élèves (MPE 13), des syndicats de la fonction publique territoriale, la Confédération des artisans des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), le syndicat des architectes ou encore, la Confédération syndicale des familles (CSF).
Pendant un quart de siècle, la ville devra payer un loyer de plus de 40 millions d’euros à la major attributaire du marché. 40 millions, c’est environ le budget annuel officiel qu’elle consacre à ses écoles sans que l’on sache trop ce que cette enveloppe recouvre. D’où cette question unanime : « si le maire engage une telle somme pour moins de 10 % des écoles, que restera-t-il pour s’occuper des plus de 90 % restantes ? »
à question unanime demande commune : la suspension du PPP et le lancement d’une procédure sous maîtrise d’ouvrage publique, plus souple, moins onéreuse, qui conserve le bâti scolaire dans le giron de la collectivité.

UNE PÉTITION POUR OUVRIR UN DÉBAT AU CONSEIL MUNICIPAL

Chacun est arrivé au collectif avec sa propre motivation. « Le savoir est un bien commun, il doit y avoir une égalité d’accès. Or, nous craignons que le PPP ne se traduise par des disparités budgétaires », explique Christophe André, de la CSF 13. « Accorder un milliard d’euros en PPP pendant 25 ans, c’est nous priver de chantiers alors que 75 % des TPE et PME ont accès aux marchés publics par le biais de la sous-traitance », ajoute de son côté Patricia Blanchet-Bhang, présidente de la CAPEB. « L’école publique c’est notre école, elle nous appartient en tant que parents, en tant que contribuables. Avec un PPP, l’école appartiendrait pendant 25 ans à une grosse société. Qui nous dit qu’elle ne nous empêchera pas d’y accéder hors temps scolaire pour nos réunions, pour la kermesse de fin d’année ? » s’interroge Séverine Gil, présidente du MPE 13.
Le projet de PPP ne passe pas. Le lauréat de l’appel d’offre lancé en octobre devrait être désigné courant décembre. D’ici-là, le collectif espère faire capoter le projet. Appuyé par l’expertise du syndical des architectes, il a élaboré un contre-projet chiffré à 723 millions d’euros, une économie de 313 millions. « La différence de prix s’explique par plusieurs facteurs, commente l’architecte Maxime Repaux. D’une part nous proposons des rénovations lourdes avec des matériaux durables mais pas de destruction. D’autre part, certains coûts nous semblent surévalués ». Mais ce contre-projet est un peu comme la réponse du berger à la bergère. La priorité pour le collectif est d’abord de réaliser un audit général des écoles à Marseille afin de pouvoir prioriser les urgences et d’établir un programme d’intervention pluriannuel.
Marseille contre les PPP, qui lors de chaque conseil municipal organise un rassemblement à l’Hôtel de ville, vient de lancer une pétition. Si elle recueille 10 000 signatures, un débat en conseil municipal pourrait alors avoir lieu en décembre comme le prévoit le règlement intérieur, car jusqu’ici, le maire de la ville a toujours refusé de rencontrer les représentants du collectif. 

En bref

LE CAS COURS JU. Mardi 13 novembre, deux enseignantes de l’école du Cours Julien à Marseille, ont exercé leur droit de retrait. La veille, un expert de la mairie est venu visiter les lieux, l’équipe avait signalé des vitres fendues, les mêmes signes avant-coureurs de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne qui, le 5 novembre a causé la mort de huit personnes. Selon l’expert il n’y a pas péril.
Cette école possède deux accès, l’un sur le cours, l’autre sur la rue d’Aubagne, pas de quoi rassurer. Des étais ont été installés pour soutenir la cour de l’école qui repose sur le toit d’un immeuble appartenant à la ville et fermé pour cause d’insalubrité. Elle a d’ailleurs été fermée dans l’attente d’une expertise indépendante. Cette dernière a eu lieu le lendemain et a conclu à l’absence de problème structurel. Enseignants et parents demandent que des travaux soient lancés quand même.

LE JACKPOT !
Le PPP, pour Partenariat public-privé, est un contrat par lequel une autorité publique confie à un prestataire privé le financement, la réalisation et la gestion d’équipements de service public. À Marseille, l’équipe municipale aux prises avec un bâti scolaire qu’elle a laissé se dégrader au fil des ans, a choisi cette procédure pour démolir et reconstruire 34 écoles. Avec ce contrat les écoles seraient construites et leur entretien assuré pendant 25 ans pour un loyer annuel de plus de 40 millions d’euros. Le bâti scolaire appartiendrait à la société lauréate de l’appel d’offre pour cette durée. Du coup, si le bâti devait évoluer, dédoubler des classes ou compléter une installation électrique par exemple, la collectivité devrait signer un avenant au contrat et passer une nouvelle fois au tiroir-caisse… à un tarif que seule l’entreprise aura défini. Et puis, les écoles concernées par ce projet possèdent 20 hectares de foncier disponibles. La major désignée pourrait le valoriser
à sa guise. Voudra-t-elle construire des bibliothèques, ou encore des jardins publics ? Choisira-t-elle de dégager des marges de profit en construisant des immeubles
de logements, un centre commercial ? Avant que le club n’en récupère récemment la gestion, le stade Vélodrome a été réaménagé et agrandi en PPP par Arema, une filiale de Bouygues. Cette dernière a développé un « programme immobilier d’accompagne-ment » qui s’est concrétisé notamment par la construction d’un hôtel, d‘un centre commercial, d’une résidence étudiante, de logements et
de bureaux. 

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