L'uniforme file un mauvais coton

Mis à jour le 19.03.24

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L’uniforme à l’école ne peut rien contre les inégalités.

Contre les idées reçues, études historiques et sociologiques rappellent que l’uniforme à l’école ne peut rien contre les inégalités.

« La tenue unique efface les inégalités et crée les conditions du respect. » Cette certitude énoncée par le président de la République le 16 janvier 2024 donne le ton de l’expérimentation de la « tenue vestimentaire commune » en cours de déploiement. Le cadrage ministériel du dispositif ne tarit pas d’éloges sur ses vertus présumées : cohésion entre élèves et sentiment d’appartenance renforcés, climat scolaire amélioré, épanouissement…Des qualités pourtant étrangères à l’histoire du vêtement scolaire. Dans les lycées napoléoniens, l’uniforme assume, en effet, un rôle de distinction. Supprimé en 1904, il ne subsiste à cette fin que dans des lycées essentiellement privés à forte sélection socio-culturelle. La blouse obligatoire qui s’impose, ensuite, ne vise, elle, qu’à protéger les onéreux vêtements des tâches d’encre. Elle tombe en désuétude avec l’apparition du stylo-bille et du prêt-à-porter.
Longtemps, la réglementation ne met l’accent que sur l’hygiène et une attention particulière à la « décence » avec un biais genré concernant les tenues féminines, y compris celles des institutrices. Alors que la laïcité est un principe historique de l’école républicaine, la question du vêtement à l’école n’émerge qu’à la fin du XXe siècle jusqu’à la loi de 2004 prohibant le port de signes religieux ostentatoires. Diverses propositions de loi en faveur de l’uniforme à l’école, toutes issues de la droite et de l’extrême droite, ont successivement pris comme prétextes la montée présumée des communautarismes, la lutte contre les violences et le racket, l’hypersexualisation ou le consumérisme... Toutes ont été rejetées.

Le "bon sens déconstruit 

Dans ces débats très idéologiques, les connaissances scientifiques ont peu voix au chapitre. Souvent issues de pays anglo-saxons, elles déconstruisent pourtant les a priori. Rien ne permet ainsi de démontrer l’efficacité de l’uniforme à réduire les inégalités, issues de la pression à se vêtir de marques coûteuses. Le statut social est toujours révélé par d’autres attributs : chaussures, accessoires, sacs à dos, téléphones et plus encore éducation, pratiques culturelles et sportives, manière de parler... Loin de niveler la ségrégation sociale entre établissements, l’uniforme tend à les exacerber. En Angleterre, il est en général le signe distinctif des classes aisées en écoles privées et prestigieuses. Aux États-Unis, il est plutôt en vigueur dans les établissements défavorisés, souvent en prise à des problèmes de gangs. Il fonctionne alors comme un marqueur social dévalorisant.

Gommer ou réduire les inégalités ? 

En 2022, une étude de l’Université de l’Ohio portant sur 6 000 élèves compare des écoles primaires sans et avec uniforme et conclut que celui-ci n’a pas d’impact global sur le comportement des élèves, leur assiduité, leur anxiété ou les taux de violence. Loin de renforcer le sentiment d’appartenance et la cohésion, l’uniforme nuit à la proximité des élèves avec les enseignants et leurs pairs. Privés de l’expression de leur individualité à travers leurs choix vestimentaires, les enfants se sentiraient moins à leur place à l’école. Un droit à la singularité absent de débats publics ignorant que la finalité de l’école n’est pas d’invisibiliser les inégalités mais de les reconnaître pour mieux les réduire.

FsC 496 Michel Tondellier

Michel Tondellier est sociologue et maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université des Antilles. Il est l'auteur de « L’uniforme scolaire à la Martinique. Interroger l’évidence », L’Harmattan, 2024

Que dit la recherche sur l'uniforme à l'école ? 

Aux USA, le port de l’uniforme, encouragé sous Clinton, a été scruté par des chercheurs dont le sociologue David Brunsma. L’étude de statistiques nationales sur plusieurs années est sans appel : quel que soit le milieu social, l’uniforme n’a pas d’effet significatif sur l’estime de soi, le comportement et les résultats scolaires. L’étude est solide d’un point de vue statistique et n’a pas été remise en cause. Au début, les principaux et les autorités éducatives locales paraient l’uniforme de toutes les vertus, par exemple pour faire baisser la violence. Mais c’est un biais de perception, les données ne le confirment pas. Ces avis ne manquent pas forcément de sincérité, mais de recul et de méthode.

L'expérimentation française est-elle fiable ? 

Elle ne laisse que l’année 2024/2025 pour évaluer les effets. Avec un échantillonnage limité, les données statistiques vont manquer ainsi que le temps d’analyse. Comment isoler la variable uniforme sur le climat scolaire par rapport à d’autres données comme un changement de direction ou de politique éducative ? Les établissements candidats sont plutôt situés dans des collectivités marquées à droite, or celle-ci a fait de l’uniforme une revendication politique depuis une vingtaine d’années. Le risque est d’évaluer l’effet de pratiques chez des convaincus.

Qu'en est-il dans les Antilles ? 

L’uniforme s’y est répandu, sans régulation de l’institution, par effet d’imitation. Disparates, les règlements intérieurs vont parfois jusqu’à réguler les coiffures. Sous un climat tropical, les shorts ne sont plus autorisés. Les enfants qui n’ont pas été associés à la mesure, ne s’y retrouvent pas et certains jugent les uniformes « moches » et peu confortables. La cohésion de groupe n’est donc pas renforcée. Une forme de surcontrôle s’exerce sur les enfants de milieu populaire. La norme imposée du « bon élève » empêche les garçons de se vêtir selon les standards de la culture rap afro-américaine. La projection par les adultes d’une lecture érotique des tenues féminines ne correspond en rien aux intentions des jeunes filles. Sans consigne juridiquement éprouvée, les personnels ont à gérer les situations de non-conformité, qui génèrent des problèmes d’accès aux enseignements. Le consensus local s’est imposé avec des arguments de « bon sens », sans véritable débat sur le droit des enfants à choisir.

FsC 496 Uniforme

UN RÈGLEMENT QUI NE TIENT QU’À UN FIL

Si deux circulaires de 2011 et 2021 évoquent l’obligation d’une « tenue convenable » pour entrer au collège, donnent des instructions de sécurité et d’hygiène et interdisent la différenciation genrée des consignes vestimentaires, le règlement type des écoles est muet en la matière. L’expérimentation de la « tenue scolaire commune » est à peine « accompagnée » par un guide ministériel énonçant le « cadre juridique de mise en œuvre ». À l’issue d’une « concertation au sein de la communauté éducative » - a minima un débat du conseil d’école - le port obligatoire de la tenue « décrite » est inscrit au règlement intérieur. Ceci vaudrait aux élèves et aux familles l’obligation de s’y conformer et ferait de tout refus « un manquement au règlement intérieur de l’école ». Alors que les sanctions disciplinaires n’ont pas cours dans le premier degré, il reviendrait à la direction d’école « de prendre les mesures adaptées au non-respect des obligations prévues par le règlement intérieur ». Sans esquisser la moindre proposition, le guide laisse ainsi aux personnels la responsabilité d’arbitrages exposés aux recours de familles. Le droit à scolarisation, principe constitutionnel consacré par le Code de l’éducation, excluant toute exclusion.

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