L’instruction c’est à l’école

Mis à jour le 11.11.20

min de lecture

L'école à la maison....c'est fini : décryptage.

Dorénavant ce n’est donc plus seulement « l’instruction » qui est obligatoire mais bien « l’instruction à l’école » et ce dès la rentrée 2021, pour tous les enfants de 3 à 16 ans.

Dès la rentrée 2021, ce sont environ 50 000 enfants supplémentaires selon les estimations, qui devront rejoindre les bancs de l’école alors qu’ils suivent actuellement une instruction dans leur famille. « Une décision forte », selon le Président de la République qu’il n’hésite pas à présenter comme « l’une des plus radicales depuis les lois de 1882, instaurant l’école gratuite et laïque ou celle assurant la mixité scolaire entre les garçons et filles en 1969 ». Pour ces enfants, cette mesure n’est bien entendu pas anodine mais à l’échelle collective, elle ne représente qu’une goutte d’eau puisqu’elle ne concerne en définitive que 0,4 % de l’effectif actuellement scolarisé et ne vient pas donner une réponse aux enfants encore privés de scolarisation parce que leurs parents sont en situation irrégulière. Cette décision prise afin « de lutter contre la radicalité et l’obscurantisme », selon Jean-Michel Blanquer, a soulevé l’indignation de certaines familles adeptes de l’instruction à domicile. Elles ont dénoncé « l’amalgame entre les gens qui utilisent leur liberté et les gens qui sont une menace pour l’unité de la nation ». En effet, il est commun d’oublier que la IIIe République avait instauré non pas l’école mais l’instruction obligatoire. Dès l’origine, il s’agissait d’une concession faite aux familles essentiellement de la grande bourgeoisie, qui pouvaient ainsi conserver le mode d’instruction qu’elles souhaitaient pour leur progéniture. Dorénavant, ce régime d’exception ne pourra avoir lieu que pour des « projets éducatifs spécifiques qui peuvent concerner “les sportifs de haut niveau” ou encore “les élèves qui rencontrent un problème psycho-médical”, comme des cas de harcèlement », a indiqué, devant le Sénat, le ministre de l’Éducation nationale.

Rencontrer l’altérité

Même si elle restait, somme toute, marginale, l’instruction à domicile ne cessait de gagner du terrain ces dernières années. Mais c’est moins dans les réseaux salafistes (même si c’est un phénomène bien réel), que du côté des familles qui reprochent à l’école de ne pas prendre assez en compte les aspirations des enfants à la créativité ou à la rencontre avec la nature, qu’il faut regarder. Pour autant, quels que soient les griefs que l’on peut avoir contre l’école, comment valider un choix familial qui prend le risque de couper l’enfant « d’un lieu nécessaire pour sa socialisation », interroge Philippe Meirieu dans les colonnes de l’Est Républicain. « Sans oublier », ajoute-t-il, que « l’école n’est pas seulement un lieu où les enfants vont apprendre. C’est un lieu où ils vont apprendre à apprendre des autres, à rencontrer des gens qui viennent d’autres horizons, qui ont d’autres histoires, d’autres convictions que leur entourage ». Et c’est bien là tout le projet de l’école républicaine, non pas de rompre avec la famille mais de « pouvoir faire découvrir le monde à chaque enfant, indépendamment des choix de son milieu », indique encore le pédagogue. Reste que cette loi encore dans les tuyaux du chemin parlementaire devra aussi dépasser le cadre juridique et constitutionnel dans un contexte français où la liberté du choix du lieu d’enseignement semble inscrite dans le marbre. Le Conseil d’État sera certainement saisi mais en attendant, il est peut-être utile de rappeler quelques extraits des paroles du poète Khalil Gibran : « Vos enfants ne sont pas vos enfants…, bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées, car ils ont leurs propres pensées. »

décryptage

Des interrogations juridiques

« Au regard des règles constitutionnelles et des obligations découlant des traités ratifiés par la France, l’instruction au sein de la famille est-elle une possibilité inséparable de la liberté de l’enseignement ? », s’interroge Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel dans une tribune publiée dans le Figaro. Saisi en 2017 par l’association « Les enfants d’abord », le Conseil d’État a rappelé que « le principe de la liberté de l’enseignement implique le droit pour les parents de choisir pour leurs enfants, l’instruction au sein de la famille ». Mais il n’a pas pour autant fiché cette décision dans son « recueil Lebon » qui constitue le corpus des grands arrêts du Conseil d’état, évitant ainsi que ce précédent fasse jurisprudence. De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas jugé la scolarisation obligatoire contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, dans un arrêt rendu le 11 septembre 2006, suite à une interpellation de familles allemandes. L’Allemagne, mais aussi l’Espagne, imposent déjà l’obligation de scolarisation. Le risque constitutionnel demeure, mais les sages de la rue de Montpensier auront du mal à ne pas tenir compte d’un contexte particulier de lutte contre les séparatismes, et pas seulement islamistes.

Claude LelièvreClaude Lelièvre, historien de l’Education

Que pensez-vous du passage à l’obligation de scolarisation ?

Dès la Révolution, il y a eu un débat pour savoir si la République devait l’emporter sur les choix de la famille. Le plan Lepeltier de Saint-Fargeau en 1793 prévoyait une prise en charge complète des enfants par l’État. Il est soutenu par Danton qui déclare : « Tout se rétrécit dans l’éducation domestique, tout s’agrandit dans l’éducation commune… ». Or, pour les tenants de l’Ancien régime comme pour la droite aujourd’hui, le principal, c’est la famille. La loi sur l’instruction obligatoire à 3 ans en 2019 avait amené la droite et l’extrême droite à reprocher au ministre d’être sur la voie de Danton alors qu’il n’y avait pas obligation d’aller dans une école.

Comment interpréter les déclarations du président de la République ?

Avec les lois Ferry, la République ne prétend pas avoir le monopole de l’instruction. Il y aura obligation d’instruction donnée soit dans une école publique ou privée, soit dans la famille. La loi de 1882 est ainsi une loi de compromis. Et d’une façon assez surprenante, Emmanuel Macron met sa proposition à la hauteur de cette loi. Il ne faut donc pas prendre « une taupinière pour la montagne ». La taupinière, c’est la question mise en avant du séparatisme et des enfants en voie de radicalisation. La loi semble proposée pour écarter les dangers qui menaceraient la laïcité. Or, l’ambition donnée par le président de la République semble être un changement de principes. C’est ça la montagne. Il s’agit d’une loi de l’ordre du constitutionnel. Si elle est admise, cela voudra dire que la République l’emporte sur la famille en ce qui concerne l’éducation et l’instruction. Ce qui pourra faire jurisprudence.

Quelles conséquences pour la politique éducative ?

Entre 50 et 100 000 enfants seraient concernés si on tient compte de la petite enfance. Aller de l’éducation domestique à l’éducation commune pourrait être une bonne chose s’il y avait une réorientation de la politique éducative en particulier dans les écoles maternelles. La priorité devrait être l’éducation et la socialisation dès 3 ans, et non l’instruction. Or, ce n’est pas la ligne ministérielle actuelle. Le risque est que les parents se tournent vers des écoles dites alternatives qui prônent le développement intellectuel et non l’instruction.

Écrire à la rédaction

Merci de renseigner/corriger les éléments suivants :

  • votre prénom n'a pas été saisi correctement
  • votre nom n'a pas été saisi correctement
  • votre adresse email n'a pas été saisie correctement
  • le sujet n'a pas été saisi correctement
  • votre message n'a pas été saisi correctement

Merci de votre message, nous reviendrons vers vous dès que possible