"Accueillir l'altérité"

Mis à jour le 11.11.20

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Interview de Françoise Lorcerie, directrice de recherche au CNRS

Françoise Lorcerie, est directrice de recherche au CNRS et l’IREMAM (Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans).

Françoise Lorcerie

Si on en croit les débats actuels, il existerait plusieurs laïcités ?

Il semble difficile d’avoir une définition qui fasse l’unanimité. En réalité, la laïcité renvoie d’une part à des principes qui sont le fondement de nos institutions démocratiques : liberté, égalité de respect. L’article 1 de la Constitution est très clair en déclarant que la République assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ni de religion, et respecte toutes les croyances. D’autre part, elle s’appuie sur des règles juridiques et des règlementations qui ont varié et continuent de varier. Certaines sont très fortes comme la règle de séparation de l’État et des cultes. Enfin, elle renvoie à des positions morales qui sont, effectivement, différenciées, sinon parfois opposées entre elles.

Qu’en est-il des atteintes à la laïcité dans les écoles ?

Il y a peu de remontées spontanées. Les enseignants, dans leur majorité, savent qu’ils travaillent avec des enfants qu’ils doivent former, qu’ils sont là pour leur apprendre, notamment, la différence entre croyance et savoir scientifique. Il s’agit d’aider les élèves à faire la distinction en donnant des critères. Si un élève croit que la terre n’est pas ronde, cette crédulité ne constitue pas une atteinte à la laïcité, c’est une expression de ce qu’il a en tête. Les élèves n’ont pas tous la même conscience scientifique. S’il y a parfois des difficultés sur l’enseignement des faits religieux, ou en sciences, par exemple, cela ne constitue pas a priori un événement à dénoncer. On peut le voir plutôt comme un tremplin pour travailler. 

                                                              “La crédulité ne constitue pas une atteinte à la laïcité”

Il existerait une islamisation de l’école ?

Dans les écoles, il y a des enfants musulmans, c’est un fait. Mais, les discours sur l’islamisation parlent d’« islamisme » et non d’individus. Quand on est enseignant, on s’adresse bien à des personnes, que l’on accepte avec leur religion, leurs opinions. Nous avons tous des identifications collectives, nous en avons même souvent plusieurs. Il y a donc une diversité d’identifications à l’école, c’est indiscutable. On peut se sentir en difficulté face à ces paroles divergentes. Mais elles pourraient être vécues comme un ferment de l’apprentissage, l’occasion de débats permettant de construire des savoir-être et des savoirs.
Pour cela, bien sûr, il faut que les enseignants soient formés à accueillir l’altérité. D’autant que les élèves musulmans ont souvent une attente de reconnaissance. Il y a des blessures identitaires réelles en situation minoritaire. Ces enfants et adolescents ont le droit d’en faire part à l’école. Et les écouter, c’est déjà mettre du baume sur ces souffrances. C’est du coup contribuer à plus de solidarité. Mais il faut être formé pour le faire.

Qu’est-ce que faire vivre la laïcité à l’école ?

Dans la charte de la laïcité à l’école, il y a 14 articles normatifs qui rappellent le cadre constitutionnel et la réglementation, et un dernier article que je retiendrais : « Par leurs réflexions et leurs activités, les élèves contribuent à faire vivre la laïcité au sein de leur établissement ». Concrètement, une réponse privilégiée passe par l’EMC, avec le débat réglé comme outil principal. On revient à la question de la formation. Savoir vivre ensemble, s’écouter, accepter les divergences, autant de compétences indispensables. L’enjeu est de construire une compétence civile, visant la relation entre les membres d’une société basée sur la solidarité et la coopération. Les discussions des plateaux télé et les propos du ministre présentent la laïcité comme menacée. Or c’est plutôt le bien-vivre ensemble qui est en danger. Ces discours n’aident pas à instaurer des classes paisibles où tous les apprentissages puissent avoir lieu, en faisant grandir la citoyenneté de tous.

Quelle difficulté à ces débats en classe ?

Les enseignants savent souvent tenir compte de la diversité des niveaux intellectuels des élèves, mais ils n’ont pas appris à travailler avec la diversité des sentiments des enfants – et des familles. On monte parfois en épingle des divergences d’opinion. C’est vrai, certains sont hostiles à certaines évolutions de la société. Il arrive que des valeurs auxquelles majoritairement nous souscrivons entrent en conflit avec d’autres. La question n’est pas d’en faire prévaloir une, l’obligation de neutralité devrait l’en empêcher. La question est de savoir comment, en tant qu’enseignant, concilier et faire concilier la liberté d’expression et le respect d’autrui. Quelle place autoriser à la subjectivité des uns et des autres, pour former progressivement leur liberté de penser et leur esprit critique ?

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