Entrer dans un monde dématérialisé

Mis à jour le 28.12.23

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Neuf enseignants sur dix déclarent utiliser le numérique pour leurs cours. Mais les questions concernant ses usages demeurent.

Prisca Fenoglio est médiatrice scientifique au sein de l’équipe « Veille et Analyses » à l’Institut français de l’éducation (Ifé, ENS de Lyon). Elle est chercheuse et formatrice en didactique des langues et sur les usages numériques en éducation. Elle a notamment publié en 2021 « Au cœur des inégalités numériques chez les élèves, les inégalités sociales » (Ifé).

FsC 494 UDA Fenoglio©Bilal-Naja

 “Aider à l’entrée dans un monde dématérialisé”

Pourquoi utiliser le numérique à l'école ? 

L’école doit éduquer aux usages du numérique, du fait de son omniprésence sociale et dans les prescriptions officielles. L’acculturation numérique des élèves est un enjeu démocratique pour inclure les moins familiers à des usages numériques variés, aux usages éducatifs, réflexifs, voire critiques. La lecture en ligne est plus exigeante car les élèves peuvent se perdre dans les documents, les hyperliens, ce qui nécessite l’acculturation à la littératie numérique, également nécessaire pour utiliser les fonctionnalités du traitement de texte. Pour ce faire, il faut savoir s’appuyer sur le capital numérique des enfants. Ne pas les considérer comme des natifs du numérique car ils ne savent pas tout, en particulier s'éduquer spontanément au numérique mais ils ne sont pas non plus des ardoises blanches qui ne savent rien.

Quelle est la plus-value pédagogique du numérique ? 

Son omniprésence sociale crée une forme de confusion, des discours enchanteurs sur ses vertus. Or, le numérique ne produit pas de plus-value pédagogique en soi, tout comme n’importe quel autre outil. Sa plus-value vient de la mise en œuvre d’usages qui exploitent son potentiel pédagogique et didactique et où sont clairement explicités les objectifs de la tâche car parfois le numérique peut y faire écran, faire diversion. Les rapports du Cnesco -Centre national d’étude des systèmes scolaires- montrent que pour présenter de l’information, l'enrichir, favoriser l’interaction, le recours au numérique peut avoir des effets positifs sur les apprentissages. À l’inverse, d’autres tâches sont moins propices : lire un texte sur support numérique est plus exigeant, comme écouter un document sonore car l’autorégulation de l’élève est coûteuse sur le plan cognitif. Le numérique n’a pas non plus d’effet attesté sur la motivation tandis qu’il peut entraver la compréhension de texte.

“L’école a un double rôle de remédiation des inégalités numériques :
donner accès à ce qui n’est pas connu et pratiqué et valoriser des pratiques extrascolaires
qui peuvent aussi avoir une valeur éducative”

Les usages numériques restent-ils marqués par les inégalités ? 

Oui, les études menées pendant la crise sanitaire ont mis en lumière les inégalités sociales, scolaires et numériques. À l’école, les inégalités sont territoriales avec des zones urbaines, sauf Paris, moins équipées que le rural. Les départements et régions d’outre-mer, notamment leur secteur en éducation prioritaire, sont très touchés par les déficits d’équipement. Le primaire est bien moins doté et formé que le secondaire. Au sein du primaire, l’accès aux formations et aux conditions d’usage est aussi inégalitaire. Dans les milieux sociaux où les parents sont peu diplômés, le smartphone est souvent le seul accès numérique. Ces enfants développent des compétences différenciées car le numérique tactile nécessite moins de lecture et d’écriture. Cette culture populaire numérique importée en contexte scolaire se confronte au choc des usages scolaires attendus, très axés sur le « lire et écrire ». L’école a un double rôle de remédiation des inégalités numériques : donner accès à ce qui n’est pas connu et pratiqué et valoriser des pratiques extrascolaires qui peuvent aussi avoir une valeur éducative.

Des pédagogies numériques inclusives ?

L’assistance technologique peut être bénéfique aux élèves à besoins éducatifs particuliers, pas seulement pour les apprentissages mais aussi pour l’engagement et la collaboration. Pour la remédiation aux inégalités numériques et une appropriation d’usages diversifiés par le plus grand nombre, il y a plusieurs pistes d’action. Toujours expliciter les objectifs et fonctions des tâches proposées avec les outils numériques. Recourir au numérique pour une plus grande flexibilité et diversification pédagogique, en offrant plusieurs moyens de représentation de l’information - textes, graphiques, animations – mais aussi d’action et d’expression. L’éducation à la citoyenneté numérique, pendant collectif de la littératie individuelle, vise à faire prendre conscience de la diversité des pratiques numériques en ligne, à travers l’interaction, la production réflexive et critique et à participer à la vie collective en ligne, de manière respectueuse. L’école doit aider à l’entrée dans un monde dématérialisé.