Donner du sens aux mots

Mis à jour le 28.12.23

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L'apprentissage de lecture continue d'animer les débats : développer ses compétences morphologiques

Pascale Colé est chercheuse et professeure de psychologie cognitive à l'université d'Aix-Marseille. Elle a publié de nombreux ouvrages sur l'apprentissage de la lecture chez l'enfant et l'adulte (dyslexique et non dyslexique). Elle est rédactrice associée de la revue « L'Année psychologique ».

FsC 494 UDA Lecture Pascale Colé © Rivaud_Naja

                                                                         “Développer ses compétences morphologiques”

Qu'est-ce que la structure morphologique des mots ? 

On peut décrire un mot selon trois caractéristiques : sa prononciation code phonologique, son orthographe code orthographique et son sens code sémantique. Un mot peut également être décrit selon sa structure morphologique, c’est-à-dire en fonction des unités de sens qui le constituent et que l’on appelle morphèmes. Ainsi, le mot « dentiste » est constitué des deux morphèmes « dent », sa base et « -iste », un suffixe caractérisant une profession. En ajoutant ce suffixe à la base « dent », on est passé d’un objet, la dent, à un métier, celui/celle dont le métier est de s’occuper des dents. Un quatrième code, morphologique, peut donc caractériser un mot. Selon des études lexicologiques, les mots dits morphologiquement complexes, c’est-à-dire composés au moins de deux morphèmes, constituent environ 75% du vocabulaire de la langue française.

Pourquoi serait-il pertinent d'étudier cette structure dès le CP ?

À l’école primaire, 60% du vocabulaire est acquis avec des mots dits « peu fréquents » parmi lesquels les mots complexes sont majoritaires. Développer ses compétences morphologiques, c’est-à-dire connaître le sens des morphèmes, bases et affixes, préfixes et suffixes et leurs règles d’utilisation, permet de développer l’étendue de son vocabulaire et par conséquent sa compréhension orale. Plusieurs recherches montrent que le vocabulaire et la compréhension orale sont deux facteurs essentiels à l’acquisition de la lecture, en particulier au CP. De plus, développer ses compétences morphologiques permet de décoder des mots complexes jamais lus et d’accéder à leur sens. Ce décodage s’effectue par la mise en œuvre de deux procédures de traitement : une procédure dite morpho-orthographique suivie d’une procédure morpho-sémantique. La première consiste en l’extraction et l'identification formelle des morphèmes composant le mot. La seconde permet l’activation des propriétés sémantiques associées aux morphèmes identifiés et la vérification de la compatibilité de ces informations. En utilisant ces procédures, les élèves peuvent lire et accéder plus rapidement au sens des mots. Des études montrent que le lecteur expert adulte, y compris le lecteur adulte dyslexique, effectue une analyse morphologique systématique des mots à identifier pour comprendre ce qu’il lit. Par ailleurs, des entraînements morphologiques réguliers peuvent aider à compenser des difficultés de déchiffrage en lecture.

“Un mot peut également être décrit [...] en fonction des unités de sens qui le constituent”

Comment intégrer des activités morphologiques dans les pratiques de classe ? 

Dès le CP, on peut débuter l’étude de la morphologie avec des activités orales telles que des comptines morphologiques, « le jardinier jardine dans le jardin »... , ou l’étude de morphèmes transparents comme le « re- » qui signifie « de nouveau » et qui peut s’utiliser avec presque tous les mots : je saute, je resaute, je lance, je relance... Ces activités sont destinées à accroître le vocabulaire et la compréhension orale des élèves. On peut également envisager des activités plus explicites à partir d’un travail de comparaison du sens de phrases courtes qui ne diffèrent que par un morphème telles que « la danseuse est belle » versus « la danse est belle ». Ces activités morpho-logiques reposant sur un découpage des mots en unités de sens - les morphèmes - complètent mais ne remplacent pas celui en unités de prononciation les phonèmes auxquels correspondent les graphèmes. Toutefois, on peut, lorsque l’acquisition des correspondances graphèmes-pho-phonèmes est bien avancée, envisager un travail à l’écrit de la morphologie avec des exercices visant à repérer les morphèmes des mots à l’écrit. Des exercices courts mais réguliers et systématiques seraient efficaces.