Harcèlement à l'école : exclure ou éduquer ?

Mis à jour le 12.09.23

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Alors que le harcèlement en milieu scolaire touche plus de 700 000 enfants par an, avec des conséquences humaines parfois dramatiques, le décret du 17 août 2023 répond davantage à une démonstration d’activisme qu’à une prise en compte des enjeux. Ce texte, qui prévoit l’éviction temporaire d’un·e élève,  a été fortement dénoncé par la FSU et par les autres organisations représentatives au CSE.

Pour faire face au harcèlement en milieu scolaire, le décret du 17 août 2023 répond par l’éviction d’un enfant.
Si le sujet est effectivement un enjeu fort puisque 12% des élèves en primaire seraient concerné·es (UNICEF 2019), ce texte ne convainc pas. II a fait l’objet d’âpres débats en Conseil Supérieur de L’Education, recevant un désaveu avec un vote de 0 pour, 57 contre, 4 abstentions et 4 refus de vote. En cause un dispositif qui répond par une mise à l’écart individuelle, renvoyant en des termes flous la responsabilité sur un enfant. Le phénomène de groupe et le poids des témoins, y compris dans des attitudes passives, qui caractérise le harcèlement, est nié.

Un texte médiatique mais mal ficelé

Ainsi la prise en charge du « comportement intentionnel et répété d'un élève [qui] fait peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d'un autre élève de l'école » est définie par deux dispositifs :

- La suspension à titre conservatoire, par le directeur ou la directrice, de l’accès à l’établissement pour une durée maximale de cinq jours

- La possibilité d’un changement d’école sur proposition de l’IA auprès du maire, avec possibilité pour le directeur ou la directrice de suspendre l’accès à l’établissement durant la durée de la procédure. Et l’ inscription de l’élève dans une autre école de la commune ou d’une autre commune si le maire de cette dernière est d’accord.

La sémantique choisie évite soigneusement le terme de harcèlement tout en semblant vouloir le définir. Pour autant, la caractérisation des comportements, notamment la notion d’intentionnalité, interroge. Comment estimer qu’un harcèlement relève d’une conscientisation ? Cette formulation risque de provoquer des confusions, en particulier vis-à-vis d’élèves à besoins éducatifs particuliers.

Par ailleurs, cette procédure, censée arriver au terme d’un dispositif de dialogue et d’accompagnement de l’élève et des familles, n’a aucun caractère disciplinaire et ne relève pas de l’ « exclusion » au sens juridique du terme. Elle entre en conflit avec les textes sur le droit à l’instruction et le droit fondamental de l’enfant à l’éducation, d’autant qu'aucun dispositif alternatif d’enseignement n’est proposé.

 De plus, cette décision expose en première ligne la directrice ou le directeur, l’isolant du reste de l’équipe. Si cette dernière est associée dans les phases de dialogues, c’est uniquement dans le cadre des mesures antérieures à la décision.

Enfin, la procédure de déplacement d’un·e élève dans une autre école, mesure qui plus est inégalitaire selon la commune qui dispose de plusieurs écoles ou pas, et qui s’effectue sans autorisation de la famille, déporte la problématique sur l’équipe d’une école voisine qui aura à charge « un suivi pédagogique et éducatif renforcé » de l’élève. Renforcé comment ? Avec quels moyens ? Comment cette dernière pourra-t-elle l’assurer dans le contexte actuel de pénurie de RASED, de médecins scolaires et de formation des personnels sur le sujet ?

Au final, ce texte donnera probablement lieu à des interprétations multiples voire contradictoires qui risquent de mettre en grande difficulté les directrices et directeurs face aux parents et/ou face à la hiérarchie suite à de probables recours.

Le leurre de l’exclusion individuelle

Face à un phénomène sociétal dramatique et à la nécessaire protection des victimes, ce texte passe à côté des enjeux.
Eric Debarbieux précisait dans Fenêtres sur cours  que « le harcèlement se construit collectivement, des individus qui se soudent entre eux, un « nous » contre un « lui ». Pour le chercheur en sciences de l’éducation, le harcèlement constitue une conséquence et un outil de discrimination, de la haine du « différent ». De la même manière la mobilisation pour lutter contre le harcèlement « va dépendre de la mobilisation d’un collectif, d’un cousu main soumis au contexte local », loin d’un « prêt à penser ».

Ce texte vient donc s’inscrire dans un contexte d’une vision autoritaire qui préfère la sanction et « l’ordre » aux espaces de discussions et d’éducation. Pourtant, comme l’exprimait Eric Debarbieux, quand « on aboutit à un dépôt de plainte, c’est qu’on a déjà perdu et c’est une tragédie. » On peut supposer qu’il en est de même lorsque l’on en vient à évincer un enfant de l’école, au mépris de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Une prise en compte complexe

Si depuis 2012 des campagnes de sensibilisation ont lieu chaque année, un numéro vert a été créé (30 20) et le programme PHare se développe lentement avec des formations inégales et rarement directes auprès de l’ensemble d’une équipe. La prise en compte du harcèlement en milieu scolaire reste complexe pour les équipes. 

En effet, il intervient sous forme de micro-violences « difficiles à percevoir car à hauteur d’enfants » explique l’experte climat scolaire à Canopé Caroline Veltcheff. Pour Eric Debarbieux, « il est constitué de faits ordinaires qui ont tendance à être minimisés par les adultes […] Le harcèlement est souvent invisible, les victimes ne disent rien, ont honte, peur, se sentent coupables et/ou ne savent pas que cela relève du harcèlement. »

 Omar Zana, auteur de « l’éducation émotionnelle pour prévenir les violences » propose de son côté de travailler l’empathie, comme « une manière d’éduquer à l’altérité et à la pluralité ». Même si cela ne s’avère pas suffisant puisqu’il s’agit bien de prendre en compte le problème de manière systémique, en lien avec le climat scolaire et « l’apprendre ensemble », et ceci en termes de coopération qu’il s’agisse des enfants comme des adultes, cela permet de travailler sur la place de chacun.e.
Comment penser que lutter contre le harcèlement à l'école, rejet social par un groupe qui isole, exclut, puisse se traiter par la suspension scolaire d’un enfant ?

Face à la nécessaire protection des victimes, face au 24,7 % d’élèves de CM déclarant avoir été victimes d’au moins une violence de façon répétée (enquête de la DEPP sur le climat scolaire mars 2022), continuons à faire le pari de l’enseignement et de l’éducation.