“Une co-­construction à la fois plurielle et singulière”

Mis à jour le 20.12.21

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La construction de l'identité sexuelle n'est pas uniquement sociale....

Véronique Rouyer est professeur des Universités en psychologie du développement de l’enfant, à l’Université de Bordeaux

La construction de l'identité sexuelle n'est pas uniquement sociale ? 

La construction de l’identité sexuée fait intervenir des facteurs sociaux relatifs aux normes liées au genre, le « masculin » et le « féminin », mais elle fait aussi intervenir une part plus personnelle avec des facteurs psychologiques. Les mécanismes de transmission de ces normes liées au genre sont indéniables, mais cette transmission ne présente pas un caractère homogène. Une co-­construction à la fois plurielle et singulière dans tous les milieux de vie : famille, école, médias... Il existe également une part personnelle dans la construction identitaire. On n’est rarement 100% dans le modèle masculin ou féminin ! Des variabilités inter-individuelles et intra-individuelles existent et chaque personne construit un positionnement singulier vis-à-vis de ces normes de genre. Cette construction ne s’achève pas avec la conformité des normes liées au genre. D’autant que ces normes évoluent. C’est une co-construction à la fois plurielle et singulière.

Cette construction évolue-t-elle avec le développement de l'enfant ? 

Certains travaux examinent la façon dont l’enfant va comprendre son appartenance à un groupe de sexe. Jusqu’à 6-7 ans, l’enfant va se baser sur les attributs culturels : longueur de cheveux, vêtements... Son développement cognitif permet progressivement des processus de catégorisation plus complexes tenant compte des exceptions permettant de se détacher des normes données par les apparences. Cette construction cognitive s’inscrit dans un environnement social et culturel dans lequel les relations interpersonnelles jouent aussi un rôle important. À l’adolescence, les questions de puberté et de transformation du corps vont contribuer à la construction de l’identité sexuée ainsi que la question de l’orientation sexuelle. Ces processus de co-construction sont à l’œuvre tout au long de la vie. L’adulte est confronté à des attentes sur les normes genrées dans sa construction du couple ou dans la construction de sa parentalité...

Existe-t-il une culture enfantine différenciée ? 

Les relations entre enfants, que cela soit au sein de la fratrie, à la crèche, l’école ou les temps de loisirs, contribuent aussi à ces processus de construction identitaire. Les enfants effectuent parfois eux-mêmes des rappels comme lorsqu’une petite fille confisque une poupée des bras d’un garçon en lui disant « c’est moi la maman ! ». De plus, ils partagent des jeux dont ils connaissent les modalités et manières de jouer, ce qui explique en partie la constitution de groupes de filles ou de garçons peu mixtes. Ces groupes ont souvent des structurations différentes, les groupes de filles sont plus restreints en nombre. Cela entraîne plus de possibilités de confidences ou des relations interpersonnelles plus proximales. Les groupes des garçons, plus nombreux, leur permettent de faire l’expérience de place dans le groupe de pairs voire de la hiérarchie au sein du groupe. 

Quel rôle joue l'école ? 

L’école est inscrite dans un contexte sociétal politique et participe effectivement à la transmission des normes liées au genre. Par exemple, dans les interactions entre enseignants et enfants, où les rappels explicites ou implicites à son appartenance sexuée sont réguliers : les demandes aux garçons de se ranger d’un côté, les filles de l’autre, la sollicitation des filles plus forte pour aider l’autre… La question des trajectoires scolaires et de l’orientation est aussi révélatrice. Dans une société où la figure du scientifique est plus valorisée que celle du social et du « care », on travaille toujours à amener plus de filles dans les filières scientifiques sans poser la question d’amener plus de garçons dans les filières littéraires. C’est une problématique de l’égalité à sens unique qui freine la réalisation de l’idéal égalitaire. En tant qu’institution, de part sa place et son rôle symbolique, l’école va légitimer cette transmission de normes et d’attentes. Il y a des changements, mais ils ne sont pas toujours intégrés au plan des représentations. Pourtant lorsque l’on est formé à ces questions, on peut agir pour proposer une pluralité de modèles, déconstruire une binarité, travailler sur ce décalage entre le socialement et le personnellement définis. S’il existe des facteurs sociaux, se poser la question de l’appropriation et la signification de ces normes par les personnes est centrale pour comprendre comment elles contribuent également à faire évoluer les normes.