“Redonner un sens réel à l’éducation”

Mis à jour le 20.12.21

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Cinq principes de la démocratie radicale. Le rôle de la pédagogie.

Francis Vergne est psychologue de l’éducation. Chercheur associé à l’Institut de recherche de la FSU, il anime le chantier Alternatives syndicales au néolibéralisme. Il a publié avec Christian Laval aux éditions La découverte La nouvelle école capitaliste (2011), Éducation démocratique : La révolution scolaire à venir (2021).

Francis Vergne UDA 2021 ©Millerand-Naja

Que voulez-vous dire par "la crise de l'éducation ne sera pas résolue par des méthodes autoritaires" ? 

Nous voulons signifier que la crise de l’éducation a avant tout des causes sociales et politiques. Sociales car les inégalités croissantes et la dégradation du lien social ont profondément affecté les conditions d’enseignement et d’apprentissage. Et politiques du fait de la perte de sens du collectif et d’un héritage commun en matière éducative. La volonté du ministre actuel de l’Education nationale d’abstraire l’école de la société conduit à imposer d’en haut et de façon autoritaire des recettes pédagogiques couplées avec un management bureaucratique. Ce qui non seulement ne résout rien mais démobilise et révolte les enseignants. Mais cet apolitisme apparent cache en fait une repolitisation réactionnaire qui entend colmater la crise de l’école par des méthodes autoritaires, des références patriotiques et une discipline couplée parfois à un scientisme neuronal des plus réducteurs. En sorte que ces contre réformes qui marient néolibéralisme et autoritarisme finissent par détruire les bases même de l’éducation.

Qu'est-ce qu'une démocratie radicale ? 

Il faut entendre radical dans son sens littéral : prendre les choses à la racine. En lien avec la question précédente, je dirais que l’école ne souffre pas de trop de liberté, de trop de démocratie mais qu’au contraire elle en manque. Seule une démocratie sociale et écologique qui fasse de la solidarité envers les humains et de la responsabilité écologique envers les milieux de vie sa priorité pourra redonner un sens réel à l’éducation. La tâche de l’éducation démocratique radicale est donc d’apprendre à tout individu à devenir un participant actif à la vie sociale et culturelle et à être également pleinement responsable du monde dans lequel il va vivre. Dans une telle perspective, l’éducation a pour fonction de former des individus créatifs et coopératifs en mesure de mettre en commun des savoirs, de prendre soin des autres et des milieux de vie comme de produire eux-mêmes des connaissances.

Vous avancez cinq principes. Quels sont-ils ? 

Le premier principe concerne la liberté de l’esprit et l’émancipation de l’école de toutes les puissances qu’elles soient religieuses ou politiques qui cherchent à la soumettre et l’instrumentaliser. Pour cela, l’éducation, de l’école enfantine au supérieur, devrait être intégrée à une institution indépendante des pouvoirs que nous appelons « Université démocratique ». Le second touche la recherche de l’égalité réelle dans l’accès à la culture et à la connaissance ce qui suppose d’agir sur le cadre économique, social et culturel des familles pour faire reculer la précarité scolaire. Et aussi de retisser, par la solidarité, des liens trop distendus à l’institution scolaire. Le troisième principe s’attache à mettre en œuvre une culture commune repensée dans toutes ses dimensions et conçue comme un bien commun co-élaboré et ouvert à toutes et tous. Quant au quatrième principe, il concernera la définition de ce qui nous appelons une « pédagogie instituante » qui développe la coopération active des élèves dans leurs apprentissages. Le cinquième enfin s’attache à imaginer ce qui pourrait être un autogouvernement des institutions du savoir et de sa transmission au travers de structures à fois collégiales et fédératives.

Quel rôle pour la pédagogie ?

Nous avons en vue un ensemble de pédagogies qui font de la démocratie un principe de fonctionnement de l’institution scolaire et de la formation des élèves. Ces pédagogies sont à la fois sociales au sens où elles privilégient des conduites de coopération et de réciprocité, et démocratiques dans la mesure où elles développent la participation effective des élèves à l’élaboration de règles collectives. Elles se réfèrent à la fois à Dewey, à Paulo Freire ou encore à Freinet et à la pédagogie institutionnelle. Leur principe de base veut qu’en faisant agir les élèves sur leur propre cadre, de façon réglée et collective, il est possible de les rendre plus ouverts aux apprentissages. Dans cette optique, appropriation de savoir et conscience critique marchent du même pas. Ou pour reprendre une formule de Freire, on ne sépare pas dans l’apprentissage la lecture du mot et la lecture du monde. D’où la construction d’un ensemble de dispositifs qui aide les élèves à devenir davantage sujets de leurs apprentissages en faisant l’expérience d’un commun éducatif.