Maternelle, pas si élémentaire

Mis à jour le 16.12.20

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L’école maternelle reste une école singulière. Régulièrement sous la pression de l’élémentaire, elle doit pourtant porter l’ambition des premiers ancrages de la réussite de toutes et tous. Le jeu libre, les rituels, penser par le langage, prendre le temps, travailler avec les ATSEM...des singularités de la maternelle dont parlent enseignant.es, chercheuses et chercheurs.

L’instruction obligatoire dès 3 ans depuis 2019 n’a pas résolu les complexités de l’école maternelle. Elle reste particulièrement marquée par des effets de balancier la redéfinissant perpétuellement entre un objectif de préparation à la « grande école » et celui du « bien-être » du jeune enfant. En 2012, un rapport de l’inspection générale notait déjà une trop grande place du lire-écrire au détriment des jeux et des manipulations, ce qui bénéficiait aux élèves issus des milieux les plus favorisés. De plus, selon Viviane Bouysse, inspectrice générale de l’éducation nationale, la définition des programmes par compétences met l’accent sur « l’horizon, et non sur le chemin pour s’en approcher ». Les programmes de 2015 constituent selon elle « une clarification de l’identité de l’école maternelle qui la distingue de l’école primarisée qu’elle est devenue, sans l’assimiler à une garderie ». Mais les ajustements et les évaluations de début CP mettent à mal cet équilibre. Pour Pascale Garnier, docteure en sociologie, « ces tests mettent la pression sur les enseignants, les enfants et les parents en renforçant une sorte d’obligation de performance dès la rentrée

COURSE À UNE « PRIMARISATION » PRÉCOCE

L’école maternelle semble à nouveau sous l’influence d’une injonction implicite à des apprentissages formels, d’autant plus dans un contexte de mise en concurrence renforcée avec des écoles privées diverses. Or cette course à une « primarisation » précoce stigmatise les élèves des familles populaires, risquant de transformer très tôt les inégalités sociales en inégalités scolaires. Pour Christine Passerieux, associée à l’équipe ESCOL, « le rôle premier de l’école maternelle est de doter tous les enfants des outils cognitifs et langagiers pour qu’ils puissent entrer dans les apprentissages scolaires, quels que soient leurs trajets singuliers. Or, elle n’y parvient pas lorsque les apprentissages sont conçus en fonction des enfants les plus connivents. »  Pour Maryse Rebière, enseignante chercheuse à l’IUFM, il faut en effet donner le temps « d’apprendre l’école, de comprendre ce qui s’y passe », d’éclairer « toutes ces pratiques incongrues aux jeunes enfants ». Construire progressivement une capacité réflexive par l’agir, le tâtonnement, le langage… La singularité de l’école maternelle c’est cette combinaison entre un accueil du jeune enfant et une entrée progressive et explicitée dans les apprentissages de l’école.
Viviane Bouysse a été interviewée aux UDA de 2012et 2015, Pascale Garnier aux UDA de 2016 et 2018, Christine Passerieux à l’UDA de 2017 et Maryse Rebière à l’UDA de 2017.

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“Des leviers pour apprendre”

Le jeu libre, les rituels sont des activités à l’école maternelle qui permettent de favoriser les apprentissages.

« Le jeu de « faire semblant » permet à l’enfant de choisir librement les rôles qu’il investit et d’apprendre à identifier, à négocier et à se soumettre à leurs règles » explique Anne Clerc-Georgy, membre du groupe de recherche sur les apprentissages fondamentaux en Suisse. Les recherches montrent que les enfants qui développent un jeu très mature sont les mêmes qui s’autorégulent dans les apprentissages. Le jeu permet de développer le langage, l’imagination ou encore le potentiel mathématiques. Mireille Brigaudiot, enseignante chercheuse émérite en science du langage, précise même qu’il s’agit d’une activité intellectuelle de haut niveau, la petite section étant le lieu où tout commence

MAIS COMMENT ENCOURAGER LES PE À INVESTIR CES ACTIVITÉS SYMBOLIQUES ?

Le premier levier est la formation. « Si on donne d’abord aux enseignants des repères théoriques sur ce que peuvent développer, dans ce domaine, les enfants de deux et six ans, ils peuvent ensuite aller les observer activement et s’entraîner à avoir un regard professionnel » explique la chercheuse. Pour cela, le PE doit faire des choix et laisser du temps aux enfants pour qu’ils investissent les jeux libres. Il va devoir organiser l’espace, jouer avec eux, les stimuler, lancer des pistes et adopter des postures différentes pour que les élèves puissent prendre des risques.

“Si on donne d’abord aux enseignants des repères théoriques sur ce que peuvent développer,
dans ce domaine, les enfants de deux et six ans, ils peuvent ensuite aller les observer activement
et s’entraîner à avoir un regard professionnel.”

CELA PERMET-IL DE LUTTER CONTRE LES INÉGALITÉS ?

Pour Mireille Brigaudiot, « c’est la seule façon d’empêcher les écarts de s’aggraver entre les enfants qui disposent d’un
environnement stimulant et les autres. ». Les rituels vont aussi permettre de favoriser les apprentissages selon Catherine Dumas, IEN en charge de la mission maternelle. La construction de l’emploi du temps va faciliter la compréhension de ce que peut être une journée de classe et offrir une régularité sécurisante, notamment pour les enfants les plus fragiles. Les rituels et les jeux libres doivent s’inscrire dans le temps de la PS à la GS, et évoluer en respectant le développement de l’enfant. C’est un travail indispensable que les enseignantes et les enseignants doivent mener afin de permettre à tous les élèves d’en bénéficier.
Anne Clerc-Georgy a été interviewée à l’UDA de 2019, Mireille Brigaudiot à l’UDA de 2013, Catherine Dumas à l’UDA de 2013

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Analyse : Penser par le langage

Les enseignantes et enseignants de maternelle le savent bien : le langage est au cœur des apprentissages. Cette priorité depuis une vingtaine d’année est réaffirmée dans les programmes de 2015. La nécessité de « mobiliser le langage dans toutes ses dimensions » fait l'objet d'un large consensus, qu’il s’agisse de la structuration du langage oral ou de l’entrée progressive dans la culture écrite. D’autant que la corrélation de sa maîtrise avec la réussite scolaire est reconnue. Pourtant, un rapport de l’inspection générale publié en 2012 notait la difficulté des enseignant.es à en faire un objet pédagogique et didactique précis. Il faut dire que s’interroger sur les usages spécifiques de la langue à l’école n’est pas aisé, en particulier avec un manque de formation appropriée. Pour Mireille Brigaudiot « on a tendance à assimiler le langage aux seules productions orales. Or il est une faculté humaine qui permet la parole mais aussi la pensée, la compréhension, le raisonnement, la création de fiction… ». Le langage de l’école n’est, en effet, pas cantonné à une simple communication, à une expression des émotions ou une restitution d’histoire. Il donne accès à la pensée d’autrui et à sa propre pensée et permet ainsi de structurer le monde. Véronique Boiron explique que ce langage de l’école « permet de s’extraire de l’ici et maintenant » et de « devenir un acteur culturel ». Son enseignement doit être progressif autour de deux objectifs, celui de continuer d’apprendre à parler et celui d’apprendre le langage pour apprendre.
Selon Elisabeth Bautier, il est important de travailler le lexique « des disciplines et des savoirs, celui des verbes d’activité d’exploration et de raisonnement », et non se focaliser sur des séances de vocabulaire détachées des situations. À l’école, il s’agit bien de construire de nouvelles conduites langagières (expliquer, résumer, débattre, comparer, généralise…) permettant, comme le rappelle Véronique Boiron, « d’imaginer d’autres possibles, d’autres manières de dire le monde ».
Mireille Brigaudiot a été interviewée à l’UDA de 2014, Véronique Boiron à l’UDA de 2015 et 2019 et Elisabeth Bautier à l’UDA de 2017.

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« Les espaces de classe peuvent changer plusieurs fois… en fonction des projets de l’enseignant. C’est une classe qui n’est plus figée » expliquait Isabelle Bastide à l’UDA de 2016. « Cela permet un lien entre l’activité et le lieu où elle se déroule. »

10,9%  C’EST LE TAUX DE SCOLARISATION DES MOINS DE 3 ANS À LA RENTRÉE 2019 DANS LES DISPOSITIFS SPÉCIFIQUES ET DANS LES CLASSES MULTI NIVEAUX
44,1%  DES CLASSES MATERNELLES ONT ENTRE 25 ET 29 ÉLÈVES PAR CLASSE
O   C'EST LE TEMPS OFFICIEL SUR « ENSEIGNER EN MATERNELLE » DANS LES MAQUETTES DE FORMATION INITIALE DES INSPE.
4,2%  DES CLASSES MATERNELLES SONT À 30 ÉLÈVES ET PLUS

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Reportage : Prendre le temps

Mettre en confiance, échanger, rassurer les familles et les élèves, ce sont les gestes professionnels de Fabienne Gorsas, enseignante en toute petite section de l’école Jules Ferry à Blois en éducation prioritaire.

Pour Sami et Aisgül*, aujourd’hui, c’est le deuxième jour de classe. Fabienne a choisi de mettre en place une rentrée échelonnée qui s’étale de septembre aux vacances d’automne. « Cette année, j’accueille 16 élèves, c’est beaucoup pour des tous petits. Faire rentrer mes élèves petit à petit me permet de leur donner toute l’attention dont ils ont besoin. Les pleurs sont moins nombreux et durent moins longtemps». Cette enseignante est aussi particulièrement attentive au lien qu’elle tisse avec les parents. Elle les invite à entrer en classe, à prendre le temps de partager des activités avec leur enfant. Toujours souriante, elle dialogue beaucoup et les rassure. Elle a choisi aussi de les appeler en cours de matinée si le temps est trop long pour  leur enfant. « Les parents adhèrent car ils s’aperçoivent vite que les matinées raccourcies ne durent pas. Les enfants comprennent que les parents reviennent les chercher, souvent en trois jours ou une semaine maximum ». Zinab, maman d’élève, précise : « C’est mon deuxième enfant que je confie à Fabienne. Pour le premier, j’avais peur car il n’était pas propre à la rentrée et une semaine après c’était réglé ! Et puis la maîtresse est vraiment très gentille, ça me rassure ». Pour Fabienne « tout ce temps pris pour installer la confiance à la fois envers les familles et les élèves, c’est du temps gagné. Les enfants débarrassés d’une charge émotionnelle envahissante vont pouvoir se centrer sur les apprentissages ».
*Les prénoms ont été modifiés