"La motricité est un domaine très vaste"

Mis à jour le 18.12.21

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La place du corps dans les apprentissages. La motricité est-elle un apprentissage en soi ? Comment peut-elle soutenir les autres apprentissages ?

Nathalie Bonneton est maîtresse de conférences en psychologie du développement et directrice adjointe à la recherche de l’INSPE de Bretagne.

Nathalie Bonneton UDA 2021 ©Millerand-Naja

Quelle est la place du corps dans les apprentissages scolaires ?

La place du corps pour apprendre est assez peu présente dans les programmes de manière générale. Si elle est très présente au cycle 1 pour répondre aux besoins d’expériences sensorielles et motrices du jeune enfant, elle l’est peu à partir du cycle 2 et au-delà. Le corps est implicitement mentionné au travers de la nécessité de manipuler en mathématiques mais rien n’est précisé sur le « comment manipuler ». La place du corps est finalement assez circonscrite à des disciplines spécifiques comme l’EPS ou les arts. Ce constat est en contradiction avec les récents travaux de la psychologie et notamment avec ceux issus du courant de la cognition incarnée et située. Ce courant permet de comprendre que le système cognitif ne se réduit pas au fonctionnement du cerveau, il implique aussi le corps et l’environnement qui le contient. Dans une perspective incarnée, le corps a une part importante dans la construction des connaissances et dans la capacité à les réactiver.

La motricité, un apprentissage en soi ?

Tout à fait mais les représentations et les pratiques des adultes, qui s’occupent d’enfants, montre que les acquisitions motrices sont souvent perçues comme relevant d’un développement spontané. En réalité, la motricité s’apprend et c’est un domaine très vaste qui prend différentes formes. La motricité globale qui implique le corps dans sa globalité, la motricité fine qui concerne plus spécifiquement la motricité manuelle et bi manuelle, et aussi quelque chose de très important pour la réussite scolaire, l’oculomotricité qui est la capacité à orienter et stabiliser son regard sur une cible précise. Toutes ces formes de motricité doivent être soutenues en donnant des occasions d’actions et en respectant les possibilités développementales des enfants. Je pense que dans certaines écoles il existe une tendance à proposer trop tôt des apprentissages auprès d’enfants qui n’ont pas le développement neuro-moteur suffisant, c’est le cas de l’écriture cursive. Cela peut créer de la crispation et de la difficulté scolaire là où il ne devrait pas y en avoir.

Comment peut-elle soutenir les autres apprentissages ? A quelles conditions constitue-t-elle une réelle plus-value ? 

Pour apprendre à lire, à écrire ou pour conceptualiser des concepts géométriques, les recherches montrent que les représentations motrices jouent le rôle de ciment entre des représentations auditives et visuelles. La motricité soutient la mémorisation en général. Par ailleurs, à l’école, il est généralement attendu que les élèves bougent le moins possible. Pourtant certaines recherches sur le vocabulaire montrent que les enfants mémorisent mieux s’ils sont en mouvement au cours de l’apprentissage. Réaliser un mouvement pour représenter le mot ou produire un geste symbolique renforce son apprentissage. Dans le champ de la numératie, les travaux montrent que la motricité manuelle via le recours aux doigts contribue à la construction du nombre et à l’entrée dans le calcul. Cependant, certaines recherches montrent aussi que la motricité pour apprendre est une réelle plus-value par rapport à un apprentissage plus classique à condition que le développement moteur de l’enfant soit suffisant et que la tâche motrice ne constitue pas une charge cognitive supplémentaire ou qu’elle n’interfère pas avec l’activité cognitive elle-même.

Quelles sont les limites ou obstacles que rencontrent les PE ? 

En France, les besoins moteurs n’ont généralement pas été pris en compte au moment de la conception des écoles et de l’aménagement des espaces scolaires. À l’exception de constructions contemporaines, les espaces dédiés à la motricité globale sont réduits, voire inexistants pour les grandes classes. Accompagner le développement moteur est un véritable défi pour les enseignants qui n’ont pas toujours les repères sur ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire avec les élèves du fait d’un manque de formation continue sur ces questions. Au sein d’une classe, il y a de fortes hétérogénéités entre les élèves, il peut y avoir deux années d’écart de développement. Dans un système scolaire qui se veut inclusif, on peut regretter le manque d’outils pour évaluer les capacités motrices des élèves. C’est un enjeu auquel nous devons collectivement répondre d’autant que les travaux montrent une corrélation entre motricité et réussite académique ultérieure d’un enfant.