L’évaluation, un outil pour enseigner

Mis à jour le 09.12.20

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L’évaluation au service des apprentissages doit prévaloir sur les autres évaluations. Elle doit interroger les progressions de chaque élève et s’appuyer sur la capacité des équipes enseignantes à construire des réponses didactiques et pédagogiques adaptées. Un geste du quotidien qui doit être soutenu et non contraint par des tests standardisés éloignés des besoins du terrain.

Dans l’enseignement primaire, l’évaluation sert à mesurer la progression de l’acquisition des compétences et des connaissances de chaque élève. Le référentiel de compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation met en lumière « les dimensions diagnostique et formative que doit revêtir l’évaluation et le rôle essentiel qu’elle doit tenir dans la manière d’enseigner ». La loi d’orientation de 2013, toujours en vigueur, précise qu’il convient de « privilégier une évaluation positive, simple et lisible, valorisant les progrès, encourageant les initiatives et compréhensible par les familles », permettant de « mesurer le degré d’acquisition des connaissances et des compétences ainsi que la progression des élèves ». Pour autant les textes législatifs et réglementaires ne définissent pas de quelle manière il convient d’évaluer les acquis et les travaux des élèves. Ces modalités d’évaluation relèvent donc de la liberté pédagogique, qui s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre.

De tous les instants

Une prise en main importante puisque, comme le souligne le psychologue André Tricot, « l’évaluation est absolument centrale et ce n’est jamais du temps perdu » mais, ajoute-t-il, « à condition d’être au clair sur le type d’évaluation qu’on veut faire : rendre compte des progrès ? Évaluer le niveau ? ». Car qu’elle soit diagnostique ou sommative l’intérêt d’une évaluation réside surtout dans l’identification des difficultés rencontrées, par la mesure des progressions réalisées et par l’identification des procédures mises en œuvre. Un système de régulation des apprentissages quasi permanent, car comme le fait remarquer André Tricot « les occasions de voir ce qu’un élève est capable de faire, finalement, c’est chaque minute dans la classe ».

Garder la mesure

L’intérêt de l’évaluation est surtout dans les pistes de remédiation qu’elle permet d’explorer, en tenant compte de la dimension pédagogique des difficultés, ou encore de l’histoire de l’enfant et du contexte socioculturel dans lequel il évolue. Une approche globale qui permet d’ajuster son enseignement , d’opter pour telle ou telle situation d’apprentissage, d'adapter sa conduite de classe ou encore de faire évoluer ses pratiques face aux blocages que rencontrent les élèves. Une véritable professionnalité qui demande à être nourrie dans la formation initiale et continue, car comme le fait remarquer Bernard Rey, professeur des universités en science de l’éducation, il s’agit de « savoir interpréter les erreurs des élèves et les saisir non pas comme des effets d’un manque d’efforts ou d’attention, mais comme relevant de conceptions qui font obstacle à l’accès aux savoirs ». La formation à l’évaluation consiste donc à mieux connaître les processus d’apprentissage des élèves pour ajuster son enseignement. Et ce n’est pas si simple, car autant évaluer des compétences techniques peut se satisfaire de quelques exercices bien conçus, autant évaluer des compétences générales comme « faire preuve d’initiative face à un problème inédit », par exemple, est d’une difficulté bien plus grande.

“Il y a une réelle difficulté à trouver les bons instruments
pour évaluer les compétences plus fondamentales.”

Ainsi Roland Charnay, professeur de mathématiques et coresponsable du groupe de recherche ERMEL rappelait que « la résolution de problèmes mobilise tout un tas de compétences qu’il est difficile d’isoler les unes des autres et donc de coder. Il y a donc une réelle difficulté à trouver les bons instruments pour évaluer les compétences plus fondamentales ». Évaluer est bien une composante importante des enseignements et des apprentissages des élèves, un geste professionnel du quotidien. C’est pourquoi l’idée d disposer d’une banque d’outils d’évaluation nationaux n’est pas rejetée en soi dans les écoles. Mais ces outils d’évaluation doivent prendre en compte les besoins réels des classes en respectant la professionnalité et l’expertise enseignante. Car comme le souligne l’Institut Français de l’éducation (IFÉ) dans un dossier consacré à la question de l’évaluation formative, elle doit être « plus un message qu’une mesure », elle doit permettre de « communiquer à « l’évalué » ce qu’on attend de lui et lui faire partager les finalités de l’apprentissage ». Tout le contraire de ce que proposent les évaluations nationales CP et CE1 actuelles. 


“La seule chose qu’on est capable d’évaluer, c’est ce que quelqu’un fait,
pas ce qu’il est ou ce qu’il maîtrise” rappelle André Tricot.

Attention aux pièges

L'exemple du cochonnet

Petit problème : une boule vaut 1€ de plus que le cochonnet. La somme des deux vaut 1,10€. Combien vaut le cochonnet ? Si vous répondez 0,10 € vous avez faux mais cela ne veut pas forcément dire que vous ne maîtrisez pas la compétence attendue qui est la résolution d’une équation simple. Simplement vous avez convoqué intuitivement une soustraction pour l’énoncé d’un problème qui vous tendait avec bienveillance… un piège. « On est dans l’exemple type d’une performance qui ne permet pas d’atteindre la compétence attendue mais qui ne permet en rien de conclure sur la maîtrise de la notion en question », explique André Tricot.

La "menace du stéréotype"

C’est un phénomène bien montré par les travaux en psychologie sociale : la conscience d’un stéréotype défavorable à un individu (les filles sont moins bonnes en mathématiques…), induit une intériorisation de ce stéréotype qui va agir fortement sur ses performances. L’élève se désengage quand il se croit moins performant dans une tâche et les chercheurs ont pu prouver que lorsque la « menace du stéréotype » est désactivée les performances peuvent varier du simple au double.

D'autres biais encore

Dans un paquet de 30 copies, les 10 premières sont plus sévèrement évaluées. L’âge, le sexe, l’origine sociale mais également l’aspect physique sont des facteurs influençant le jugement. Une bonne opinion de l’élève augmente sa note. Les enseignants et les enseignantes ont également tendance à noter plus sévèrement en début de carrière et il a aussi été montré de manière plus surprenante que plus les critères étaient resserrés et précis plus les notes pouvaient être disparates entre les évaluateurs. Un effet contre-intuitif lié au fait qu’il est plus facile de mettre 0 ou la note maximale sur une micro tâche que sur un ensemble.

eval brizemur

ECLAIRAGE     Des évaluations nationales...oui mais pas comme ça

Pour évaluer le système éducatif, existent depuis de nombreuses années des évaluations nationales (CEDRE) ou internationales par échantillon (PISA, PIRLS, TIMMS). En France, jusqu’à très récemment, le CNESCO évaluait, de manière indépendante, les politiques éducatives mises en œuvre et formulait des recommandations… Le ministère a décidé de s’en passer. Juge et partie, il évalue désormais lui-même sa politique éducative, formule les questions et propose des remédiations ciblées, sans concertation avec les professionnels de terrain réduits au rôle d’exécutants.

L’objectif affiché est toujours le même : « repérer les points forts et les points faibles, décider d’actions pédagogiques adaptées aux besoins de chacun » (MEN). Mais derrière l’affichage, une forêt de réalités. Depuis des décennies, les équipes ont vu se succéder les évaluations nationales sans jamais y être associées. D’où une méfiance grandissante sur les raisons profondes de ces tests, leur utilité et surtout l’usage qui peut en être fait. Les plus durables ont été les évaluations nationales d’entrée en CE2 et 6ème lancées en 1989. Celles-ci, élaborées par la Depp* après un test sur panel de 6000 écoles, avaient le mérite d’adapter les exercices en fonction des attendus de début d’année. Même si certains exercices ont pu être critiqués, les équipes se les sont appropriées au fil du temps. Elles participaient aux corrections et bénéficiaient des résultats pour ajuster leurs pratiques. Seuls les chiffres nationaux étaient publiés, sans mettre les écoles, les circonscriptions ou académies en concurrence. En 2006, le ministre de l'Éducation nationale Xavier Darcos y
met fin, au profit d’évaluations nationales CE1 et CM2 l’année suivante. Cette fois-ci, l’administration ne cache pas son intention de s’appuyer sur ces tests pour « piloter le système éducatif ». « Diviser pour mieux régner », une prime est même donnée aux correcteurs et correctrices. Pourtant, annoncées comme diagnostiques, ces évaluations ont lieu en janvier pour les CM2 et mai pour les CE1 avant d’être transmises aux familles. Résultat : un vaste mouvement de protestation, passant par un refus de les faire passer. Après les présidentielles de 2012, ces évaluations passent à la trappe à la grande satisfaction des écoles et sont mises en place des banques de données dans lesquelles les équipes peuvent piocher pour élaborer elles-mêmes leurs évaluations de début d’année et en faire un outil pour leur classe. Une « école de la confiance » remise en cause à l'arrivée de Jean-Michel Blanquer qui dès la rentrée scolaire 2018 généralise de nouvelles évaluations nationales standardisées pour les CP et les CE1 à la rentrée et en janvier. Des évaluations qui ont fait réagir dans les écoles. Jugées inadaptées, elles ont révélé une volonté de dépossession du professionnalisme enseignant, puisqu’ils et elles n’ont plus la main ni sur leur conception, ni même sur leur correction. Des tests conçus au service d’une vision étriquée des apprentissages reposant sur le seul déchiffrer et calculer et qui ne servent au final que la communication de la rue de Grenelle.
*Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance

“TEACHING TO THE TEST” : L’escalade britannique

Autre pays, autres mœurs ? Depuis de nombreuses années, l’Angleterre a glissé vers le libéralisme. Côté économie, bien sûr mais pas seulement. Les évaluations à grande échelle, ont profondément modifié la pédagogie des enseignants. Attention danger pour le système scolaire français. 

Stephen Ball

Stephen J. Ball est sociologue de l’éducation à University College of London. Il s’exprimait sur le sujet dans le numéro 449 de Fenêtres sur cours paru en octobre 2018.

COMMENT L’ANGLETERRE EN EST ARRIVÉE À « ENSEIGNER POUR TESTER » ?

Ce qui s’est passé en Angleterre comme ailleurs c’est une forme d’escalade. Au début des années 1990, les évaluations sont apparues sous prétexte de diagnostiquer les besoins des élèves. Mais au fil du temps elles sont devenues de plus en plus contraignantes et intrusives. Les résultats ont été publiés dès 1992 pour chaque école, créant un classement des établissements. Cela a pris une place grandissante dans le travail enseignant. De plus en plus de temps, d’attention et d’énergie en classe sont consacrés à la réussite à ces tests. Avec plusieurs effets majeurs. Pédagogiques tout d’abord. Enseigner devient préparer aux évaluations, mémoriser, rabâcher. Disciplinaires ensuite. Les enseignants se concentrent sur les matières qui vont être évaluées, surtout en primaire, les mathématiques et la lecture/ écriture. Les autres matières, éducation musicale, sport, etc. sont négligées. Enfin, cela a considérablement accru le stress à l’école, chez les enseignants comme chez les enfants.

QUELLES IMPLICATIONS SUR LE SYSTÈME ÉDUCATIF ANGLAIS ?

La mise en compétition des écoles en fonction des résultats à ces tests a créé une « économie de la valeur » attribuée aux élèves. Des écoles ont eu tendance à trier les élèves quand elles le pouvaient et à ne recruter que ceux susceptibles de réussir, excluant les élèves en difficulté. L’autre effet dramatique est la crise de recrutement en Angleterre. Le stress et les changements dans le travail, la focalisation sur les tests, font que les professeurs quittent le métier ou n’y entrent pas. Les étudiants connaissent désormais la pression mise sur les enseignants, leur manque de liberté pédagogique. D’autant qu’une partie du salaire peut dépendre de ces résultats dans les écoles qui ont une autonomie de budget.

QUELLES RÉACTIONS CONTRE CES ÉVALUATIONS ?

En Angleterre, le syndicat enseignant majoritaire, ainsi que deux associations de parents se sont mobilisés contre les évaluations mais seulement un petit nombre d’écoles ont refusé de les faire passer. Un seul test, des enfants de quatre ans avant leur entrée à l’école, a été arrêté, mais a été réintroduit. C’est aux États-Unis qu’il y a eu une mobilisation massive et réussie, un demi-million de parents de l’État de New York ont refusé que leur enfant passe les évaluations. En Angleterre, le mouvement a été plus faible mais l’opposition grandit. Récemment, l’inspectrice générale de l’éducation s’est exprimée pour dire que les élèves étaient trop testés. Mais les évaluations ont toujours cours pour les élèves de 7, 8, 14 et 16 ans. Il faut dire que c’est un outil si simple et si séduisant pour les politiciens ! Ils peuvent modifier à loisir les critères, la structure des tests et faire porter la responsabilité des résultats sur les écoles.

Du côté de la recherche

ROLAND GOIGOUX, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS (CLERMONTFERRAND)

goigoux

« Les évaluations CP et CE1 sont des tests de psychologues pour des enfants plus âgés en passages individuels et leur usage en collectif en début d’année a été catastrophique. Ce qui intéresse le ministre, ce sont les prédicteurs de la réussite, c’est très différent de la culture de l’évaluation à l’école qui est d’évaluer ce qui a été enseigné en classe. Beaucoup de compétences fortement enseignées ne sont pas évaluées. Les tests sont mal adaptés avec des compétences trop complexes et pas au programme. En plus, les évaluations ne sont pas assorties de dispositifs de remédiation dignes de ce nom. Les exercices de remédiation sont analogues aux tests ».

OLIVIER REY, INGÉNIEUR DE RECHERCHES À L’ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE DE LYON

Olivier Rey

« Dès qu’il y a une évaluation, les élèves comme les enseignants tendent à cibler, à orienter leurs efforts vers les points qui vont être évalués. Or l’évaluation n’évalue pas tout d’une séquence d’apprentissage, soit parce qu’on ne sélectionne que les éléments considérés comme plus importants, soit parce que certaines compétences sont plus faciles à mesurer. Difficile par exemple de graduer
des comportements scolaires. Le contenu des évaluations envoie un signal, hiérarchise les apprentissages et impacte fortement le déroulement des enseignements
».

ANDRÉ TRICOT, PROFESSEUR DE PSYCHOLOGIE COGNITIVE

Dossier Tricot

« J’ai commencé à comprendre ce que peut être une évaluation en observant les enseignants de maternelle. En maternelle, les enfants peuvent très bien ne pas être disponibles pour «passer l’évaluation». Les enseignantes et les enseignants utilisent beaucoup l’observation de ce qui se passe dans la classe pour se dire «voilà où en est cet élève». Les évaluations sont avant tout un système de
régulation des apprentissages. Quand elles sont empêchées, les profs savent inventer des façons beaucoup plus opportunistes, ils font quand l’occasion se présente. Que gagneraient-ils à ne faire que des évaluations formelles ? Pas grand-chose
».

BERNARD REY, PROFESSEUR EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION

Photo Rey

« Il faut repérer les élèves qui sont dans le malentendu à propos des tâches scolaires, parce qu’ils n’en voient que la matérialité et ne soupçonnent pas qu’elle réfère à un savoir. Repérer et redresser les malentendus tel devrait être la tâche évaluative principale ».

ANNE CLERC GEORGY, PROFESSEURE À LA HAUTE ÉCOLE DE PÉDAGOGIE DU CANTON DE VAUD EN SUISSE

A Clerc-Georgy

« Les jeunes élèves, notamment de maternelle, ne peuvent pas nous montrer tout de suite où ils en sont. Des tests précoces risquent de nous donner de mauvaises informations. Il faudrait les prendre en faisant des choses avec eux, en les observant dans le jeu ou dans d’autres activités. Nous sommes là pour leur permettre de progresser. Dans ce contexte mes mots-clés sont sécurité, sérénité et
apprentissage
».