"Entrer dans les coulisses du monde enseignant"

Mis à jour le 30.11.23

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Boualem Aznag est animateur à Charleville-Mézières. Stéphane Grulet est enseignant et maître formateur à Tournes. Tous deux sont créateurs de contenus et auteurs de livres. Ils sont les auteurs de Boualem & Steph, ex ParentsProf.

C’est sans nul doute le duo le plus désopilant de la presse « spécialisée » en éducation, au point qu’on peut dire qu’ils sont à l’école ce que Le Gorafi, Les Nuls (du temps de leur splendeur), Le grand dimanche soir ou Quotidien sont à l’information générale et politique. À la rentrée, ils ont rebaptisé leur média en ligne « Boualem et Steph ». À sa création, le titre s’appelle « Jean-Jacques le mag » avant de devenir « ParentsProfs », qui les fait connaître du grand public, du moins au sein de la communauté éducative. Changements de titres, évolutions de la ligne éditoriale, mais toujours les anime cette volonté de traiter de l’information de manière à la fois décalée et humoristique, toujours sur des sujets qui font mouche auprès des enseignantes et enseignants et des parents d’élèves. L’un enseigne, l’autre conduit tous les matins ses mômes à l’école, ils savent forcément de quoi ils parlent. Rencontre avec un duo qui, tout humoriste qu’il soit, n’en est pas moins féru d'humanité et de pédagogie.

FsC 494 UDA Boualem et Steph © Cerf Photography

Comment vous êtes-vous rencontrés ? 

Boualem : La première fois, c’était autour d’un projet sur les droits des enfants. Ça n’a pas été le coup de foudre humoristique, c’était juste cordial. Je sentais que c’était une personne gentille, j’avais décelé un petit œil rieur mais rien ne présageait qu’on aurait autant de complicité.
Steph : Nous étions tous les deux dans l’éducation populaire, j’étais directeur des Francas dans les Ardennes et lui animateur, fonctionnaire territorial à Charleville-Mézières. À notre première rencontre, je n’ai pas du tout accroché, je l’ai trouvé assez froid.

Quel a été le déclic pour travailler ensemble ? 

B. : La mairie de Charleville-Mézières nous a demandé de réfléchir à un atelier de création de courts-métrages pour les enfants en centre de loisirs. Nous l’avons inauguré en 2008. D’entrée de jeu, on a été très complices et un « chouilla » moqueurs mais toujours sans méchanceté. Lors des enregistrements, nous avions des rires contenus, des regards de connivence. À partir de là, on s’est dit qu’on allait bien rigoler ensemble.
S. : Parallèlement, j’écrivais pour les éditions Retz. À mon troisième livre « Conduire sa classe », je lui ai proposé un travail commun, Boualem a tout de suite été emballé. Je me chargeais de la partie textes et conseils pratiques pour les PE et Boualem des 30 films réalisés dans ma classe pour illustrer les gestes professionnels. On travaillait comme des forçats le dimanche et pour décompresser, on se faisait rire l’un l’autre.

                                                “On est parti de nos univers respectifs en parodiant les magazines féminins,
                                                chacun nourrissant l’autre sur la façon dont on voyait l’éducation en général ”

Comment vous est venue l'idée de faire un magazine sur les parents et les profs ? 

B. : On était tellement focalisés, concentrés sur le projet qu’on avait besoin d’évacuer, de s’aérer le cerveau. On alternait entre des moments sérieux et de rigolade sur les profs, la pédagogie, l’école en général. On détournait ce qu’il y avait dans notre manuscrit. On a commencé à écrire des textes d’humour et c’est comme ça qu’est né « Jean-Jacques le mag ».
S. : « Jean-Jacques le mag, un magazine poilu », un nom complètement idiot ! L’idée était d’aborder les questions liées à l’éducation mais aussi de parodier les magazines féminins. J’en lis beaucoup. J’aime bien parce que les rubriques sont faciles à détourner. C’est le cas de l’horoscope, des programmes télé, des fiches de cuisine, des méthodes de développement personnel... La mise en page est belle, un petit côté rose bonbon qui permet de dire parfois des horreurs avec un langage et un environnement un petit peu chic

FsC 494 UDA Parents profs le mag

Pourquoi ce titre "Parents Profs" ?

S. : Quand on s’appelait encore Jean-Jacques le mag, l’éditrice nous disait que ce n’était pas mauvais mais pas terrible non plus comme titre. Et puis le nom ParentsProfs donne l’illusion qu’il s’agit d’un magazine sérieux, à l’image de Parents Magazine ou Psychologies. Cette vraisemblance nous a valu des reprises dans la presse et des tonnes de commentaires au premier degré sur nos articles. B. : On est parti de nos univers respectifs en parodiant les magazines féminins, chacun nourrissant l’autre sur la façon dont on voyait l’éducation en général : moi en tant que parent et lui en tant que prof. Le nom ParentsProfs est venu assez facilement, un peu comme une évidence. Il vient de notre grande complicité.

Pourquoi avoir choisi de traiter l'éducation avec humour ? 

B. : Quand je faisais une petite blague sur les profs du genre : « Vous ne bossez que quatre jours par semaine », Steph se crispait même s’il savait que je rigolais. Il me disait que nous aussi les parents, nous étions assez fermés.
Il a raison : quand on parle de mon fils, je sors facilement les crocs ! Nous avions chacun des idées préconçues de l’univers de l’autre. Bref, on avait de quoi écrire avec un objectif : rapprocher et faire comprendre ces deux mondes. L’humour nous permet d’aller assez loin mais toujours sans méchanceté.
S. : À chaque sujet, on se pose la question de savoir si on y va ou pas. Notre ligne éditoriale rejoint le devoir de réserve que nous nous donnons. Par exemple, les textes à trous de Gabriel Attal, on l’a traité parce que c’est drôle, on se moque du fait qu’il ne connaît pas le terrain. Ce n’est pas bien méchant comme blague et on ne va pas le rater !En revanche, le harcèlement scolaire, Samuel Paty, on se l’interdit volontairement parce que des familles sont endeuillées. Par le passé, nous sommes allés parfois très loin dans l’humour noir, surtout à l’époque de Jean-Michel Blanquer. Tout n’était pas forcément de bon goût, mais on assume tout.

“Nous souhaitons que sur nos réseaux, des profs, des parents et
tous les autres discutent, échangent et rigolent ensemble”

 A travers cet esprit rieur, que cherchez-vous à montrer de l'école, des profs, des parents et de la relation PE-parents ? 

B. : On souhaite réduire la distance entre les parents et les profs. Notre volonté est de permettre aux parents d’entrer dans les coulisses du monde enseignant, montrer que les profs sont des humains et qu’ils peuvent avoir des failles. De l’autre côté, faire comprendre aux enseignants que pour les parents totalement extérieurs à l’école, c’est un milieu parfois mystérieux, opaque, générant beaucoup d’incompréhensions et d’imaginaires. Bref, faire du lien, être indulgent et bienveillant les uns envers les autres.
S. : Montrer la dureté du métier, qu’être prof ne s'improvise pas, que tout le monde ne peut pas être enseignant, que cela nécessite des gestes professionnels, une formation en montrant les coulisses de la classe. C’est aussi démystifier l’image du prof. Depuis le début, nous souhaitons que sur nos réseaux, des profs, des parents et tous les autres discutent, échangent et rigolent ensemble. Dans une période où chaque communauté se replie sur soi, nous souhaitons faire l’inverse. Nous avons une règle : être méchant avec les puissants mais jamais avec les faibles et ne jamais chercher le buzz.

FsC 494 UDA Boualem et Steph © Lisa Maronnier

Quelles sont vos sources d'inspiration ?

B. : On aime bien le Gorafi, l’humour anglais comme celui des Monty Python, les Nuls et les Inconnus. Lui, c’est plus Les Nuls et moi, Les Inconnus, c’est une histoire de génération ! On a des sujets chauds où l’on réagit à l’actualité et des sujets froids que l’on prépare durant l’été ou à n’importe quel moment de l’année. S. : On s’inspire des coulisses du métier. La moitié du contenu est créée par nous, pour l’autre moitié on éditorialise ce que nous envoie la communauté. Lorsqu’on lance un appel sur Instagram, que ce soit pour demander des anecdotes ou des photos, c’est impressionnant : deux heures après, on a de quoi faire un article.

Vous faites souvent référence à Philippe Meirieu, pourquoi ?

B. : C’est une référence dans le métier enseignant, un as de la pédagogie. Faire une fausse couverture par mois, c’était le titiller gentiment, lui rendre hommage. Quand on l’a rencontré à Charleville-Mé-Mézières à l’occasion d’une conférence, on était fiers qu’il nous connaisse.
S. : Ce jour-là, on l’a informé qu’on voulait intégrer un poster de lui au centre de notre livre ParentsProfs qui sortait en librairie. Il ne voyait pas en quoi c’était drôle. Je lui ai alors expliqué que c’était pour faire comme dans OK ou dans Podium. Quand j’étais jeune, j’avais un poster de Jeanne Mas sur le mur de ma chambre. Il est devenu blême mais a accepté quand même ! Et dans Parentsprofs livre numéro 2, il a même écrit une parodie de vannes sur les neurosciences, c’est la classe non !

“La moitié du contenu est créée par nous, pour l’autre moitié,
on éditorialise ce que nous envoie la communauté”

Depuis la rentrée, c'est Boualem et Steph, pourquoi ce changement de nom ? 

B. : En devenant Boualem et Steph, nous élargissons notre périmètre, cela nous permet d’aborder d’autres aspects du monde du travail, de raconter le quotidien d’autres professions et de parler de culture le week-end, tout ça avec un mélange de gravité et de légèreté.
S. : L’esprit reste le même, l’idée est de ne pas faire un humour de profs réservé à des profs mais de raconter les métiers des uns et des autres, aborder avec humour nos difficultés dans un monde du travail sans pitié. On aimerait que Boualem et Steph soit une sorte de bulle d’humanité dans un monde de brutes. On ne changera pas le monde, mais si nos réseaux peuvent être un espace où des individus rient de nos bêtises, partagent les leurs, s’écoutent et discutent ensemble, on sera heureux.