“Clarifier qui fait quoi et comment”

Mis à jour le 20.12.21

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Importance de la co-éducation dans les milieux populaires. Conséquences du confinement.

Pierre Périer est sociologue et professeur de sciences de l’éducation à l’Université Rennes 2, Pierre Périer est chercheur au CREAD (Centre de recherches sur l’éducation, les apprentissages et la didactique), auteur de Des parents invisibles. L’école face à la précarité familiale (PUF, 2019).

Pierre Périer UDA 2021 ©Millerand-Naja

En quoi consiste la co-éducation ? 

Il s’agit d’associer parents, acteurs éducatifs, enseignants et enseignantes dans un objectif de développement et de réussite des enfants et des jeunes. L’enjeu de la coéducation est de clarifier qui fait quoi et comment. Et ce n’est pas simple. Les questions des rôles, des responsabilités, des périmètres d’intervention des uns et des autres et de l’information dont chacun a besoin pour coordonner et ajuster sa pratique sont centrales. La coéducation, c’est reconnaître qu’il existe une diversité d’actions participant à la réussite des élèves mais la difficulté réside dans l’identification et la communication entre ces différentes actions, dont la cohérence est l’un des gages de leur l’efficacité. Il y a coéducation quand il y échange entre parents et enseignants, parce que les enseignants prennent en charge – qu’ils le veuillent ou non – des questions éducatives à travers l’attention qu’ils portent aux enfants, à travers le souci de leur bien-être dans la classe et à l’école. Les parents sont dans la coéducation car eux-mêmes s’informent à minima sur la scolarité de leur enfant, regardent les devoirs à la maison et sont préoccupés de l’enjeu scolaire. Ils essaient, à la mesure de leurs moyens, de prendre en compte des attentes scolaires ou d’inscrire leur action en cohérence avec celles-ci, ce qui n’est pas toujours simple. Et dans certains territoires, notamment dans les quartiers prioritaires, les acteurs des associations de quartier participent à la coéducation. Même si c’est périphérique à la relation parents-école, il y a un enjeu à élargir le réseau des partenaires.

En quoi est-elle importante dans les milieux populaires ? 

C’est important pour ces familles, car comme les autres, elles se soucient de la réussite de leurs enfants, même si cet intérêt se manifeste de façon peu visible. Elles savent moins comment faire. Elles ont donc conscience de l’enjeu mais ne maîtrisent pas les règles du jeu et n’ont pas les compétences requises pour entrer dans le jeu. Elles le vivent avec un sentiment d’injustice car elles ont envie de bien faire mais ne savent pas comment. Ne saisissant pas les codes, elles ne peuvent apparaître comme interlocuteur légitime pouvant aider efficacement leur enfant.

A-t-elle été mise à mal lors du confinement ? 

La relation a été bousculée et a pris des formes inattendues avec des conséquences tout aussi inattendues. Positives et négatives. Négatives, car effectivement, on a constaté que les inégalités dans le registre des apprentissages scolaires s’étaient creusées. Tout ce que l’on exporte de l’école à la charge des familles ayant des ressources inégales aggrave les inégalités. Plus l’école externalise les tâches d’ordre scolaire, plus elle est inégalitaire. La coéducation ne peut pas grand chose lorsque l’on demande aux parents, très inégalement compétents, d’intervenir sur le travail scolaire à la maison, de gérer les apprentissages, de comprendre les consignes et les finalités des exercices… Les familles populaires ont été très rapidement démunies et dépassées. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, c’est l’impossibilité de répondre aux attentes plus ou moins explicites de l’école. Les effets positifs sont du côté d’une relation finalement possible alors que l’on supposait qu’elle ne pouvait avoir lieu, avec l’idée de parents désintéressés ou encore démissionnaires. Du côté des parents, certains préjugés à l’égard des enseignants ont été déconstruits. Certains ont été très surpris que l’enseignant leur téléphone pour prendre des nouvelles de leur enfant, par exemple. Ils se sont sentis légitimés comme interlocuteur de l’école et dans leur rôle de parent. Même s’il s’est opéré un changement de représentation des uns sur les autres, le parent qui n’a pas les compétences requises reste, lui, en difficulté face aux attentes scolaires.

Et dans les milieux populaires ?

Les parents de milieux populaires ont particulièrement souffert du confinement. Pour des familles qui étaient déjà en difficulté, c’était une épreuve supplémentaire, parfois insurmontable. Si le contact avec l’enseignant ou l’enseignante n’a pas bien fonctionné, il y eu une quasi-rupture entre l’école et les familles, un véritable décrochage relationnel. On ne peut que constater qu’un groupe de parents, les plus précaires, a très vite déconnecté dans son rapport avec l’institution et aux apprentissages de l’enfant.