Se réapproprier nos corps

Mis à jour le 19.03.24

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Itv de Camille Froidevaux-Metterie, philosophe, chercheuse en sciences politiques

“Reprendre possession des dimensions incarnées de nos vies”

Camille Froidevaux-Metterie est philosophe et chercheuse en sciences politiques. Ses travaux portent sur les transformations de la condition féminine à l’époque contemporaine dans une perspective phénoménologique. Elle est l’autrice de l’ouvrage “Un si gros ventre. Expériences vécues du corps enceint”, Ed Stock 2023, et conseillère scientifique du documentaire “Les petits mâles” (lespetitsmales.com)

FsC 496 Camille Froidevaux-Metterie

Que dit l'inscription de l'IVG dans la constitution sur le corps des femmes ? 

Cette question des droits reproductifs est centrale dans les combats féministes. Il s’agit non seulement de la liberté des femmes à disposer de leur corps, mais aussi de la condition des femmes dans nos démocraties. Il a fallu attendre les années 70, et la conquête des droits à la contraception et à l’avortement, pour que les femmes deviennent des citoyennes comme les autres. Jusque-là, parce qu’elles subissaient des grossesses non voulues ou risquaient de mourir dans des avortements clandestins, elles ne pouvaient pas prétendre à l’égalité et la liberté que les hommes se réservaient. L’événement est historique pour les droits des femmes mais, au-delà, pour nos démocraties qu’il permet de consolider et de protéger contre les dérives antilibérales.

Comment est perçu le corps des femmes dans la société ? 

Depuis à peu près toujours, les femmes sont définies au prisme de leur corps. L’histoire de nos sociétés patriarcales est celle de leur infériorité au nom de leurs fonctions sexuelle et maternelle. C’est l’argument qui a permis qu’elles soient si longtemps privées des droits démocratiques. Le projet du féminisme est de libérer les femmes de cet enfermement. Un premier pas, décisif, est franchi dans les années 70, mais les années 80, 90, 2000 sont marquées par un fort reflux féministe. Les femmes sont alors occupées à investir la sphère sociale et elles s’y attachent en faisant comme si elles n’avaient pas de corps puisqu’on attend d’elles qu’elles deviennent des hommes comme les autres. Dans le monde du travail, les femmes n’ont ainsi pas de règles, pas de seins, pas d’allaitement, pas de grossesse. Or ces dimensions incarnées sont des vecteurs de discriminations en termes d’évolution de carrière et de salaire, voire produisent des mises au placard ou des licenciements.

Qu'appelez-vous "la bataille de l'intime" ? 

Depuis 2010 aux États-Unis et 2015 en France, nous vivons une nouvelle séquence féministe qui replace le corps au centre du projet d’émancipation. Les sujets corporels, y compris les plus intimes, sont investis par une nouvelle génération de féministes. Il s’agit de nous extirper du carcan patriarcal pour reprendre possession des dimensions incarnées de nos vies de façon assertive, joyeuse et fière. Tout commence avec la visibilisation des règles et des pathologies associées comme l’endométriose, puis celle des mène ensuite à la question de la sexualité, sur le versant positif du plaisir et sur le versant négatif des violences sexuelles avec #metoo. À partir de 2018-2019 s’ouvre une séquence maternelle avec la réappropriation de la grossesse et de l’accouchement. La question du vieillissement et de la ménopause sont les dernières thématiques investies.

"Les petits mâles" , pourquoi ce documentaire ? 

C’est un film pour l’égalité et contre le sexisme. Il s’inscrit dans le sillage du film intitulé “Les mâles du siècle” qui s’est intéressé à ce que le féminisme fait aux hommes ou pas. Là, nous avons questionné des garçons âgés de 7 à 18 ans sur tous les domaines dans lesquels le féminisme essaye d’agir, à commencer par les tâches domestiques, mais aussi les relations entre filles et garçons à l’école, la question des sentiments, des relations amoureuses, de la sexualité, de la pornographie, du harcèlement et des violences sexuelles. Nous avons observé que sur certains sujets, notamment la question LGBTQI, il y avait à l’évidence une rupture. Les garçons ont une appréhension beaucoup plus simple, directe et tolérante de ce sujet. En revanche, la question de la répartition des tâches domestiques reste assez largement problématique avec l’idée, pour certains, que les filles font mieux les choses, donc autant les laisser faire. Je crois malgré tout que cette génération sera la première à expérimenter une forme d’égalité que nous n’avons jamais connue jusque-là.

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