« Se débrouiller dans la complexité du monde »

Mis à jour le 03.09.19

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Roger-François Gauthier définit les finalités de l'école comme un acte éminemment politique

Roger-François Gauthier, a été professeur de lettres, inspecteur général et membre du Conseil supérieur des programmes. Dans son dernier ouvrage, « Crise des programmes scolaires -Vers une école de la conscience » (Berger-Levrault, 2019), il insiste sur le fait qu’une école qui n’est pas au clair sur ses finalités ne peut pas réussir.

Qu’est-ce que construire une culture commune à l’école ?

Roger-François Gauthier : Toute société a ce besoin d’un certain nombre de savoirs et de références communes pour se comprendre. C’est fondamental pour que l’échange soit possible. Et ce substrat commun doit être fondé sur des savoirs, pour rendre objectivable le monde, plutôt que sur des idéologies, des croyances, ou des superstitions. Une culture est ce rapport au monde, instruit par l’éducation, quand les savoirs se mettent à faire sens, à la fois pour m’aider à comprendre le monde et me permettre d’y agir. Mais il ne s’agit pas de viser une culture unique, une « culture d’État » ! En France, nous tenons encore à ce « commun » mais l’idée est loin d’avoir le vent en poupe actuellement dans le monde. Pour des raisons idéologiques, ultralibérales ou religieuses, beaucoup ne veulent pas que les savoirs de leurs enfants soient communs avec ceux des autres, bien au contraire !

D’où l’importance de définir clairement les finalités de l’école ?

R-F.G. : Oui. Si l’on ne sait pas les finalités de l’éducation dans un pays, il est impossible de définir cette culture, et à plus forte raison des programmes. Est-ce que l’on va vouloir former des enfants ou des adultes « hexagonaux », qui n’apprennent que l’histoire de France, la littérature française ou est-ce que l’on veut former des humains qui vivent avec les autres sur la même planète ? Veut-on une école qui forme de bons petits soldats, des ouvriers qui ne la ramènent pas ou des citoyens ? Ce n’est pas la même finalité, donc pas la même école. Or que l’école ait un projet culturel, comme on essaye de le définir, ça c’est une finalité, et c’est tout simplement révolutionnaire. Nous avons donc besoin d’un travail politique majeur, d’ouvrir le débat sur : de quelle culture veut-on doter les élèves ?

Veut-on une école qui forme de bons petits soldats, des ouvriers qui ne la ramènent pas ou des citoyens ? Que l’école ait un projet culturel, c’est tout simplement révolutionnaire

Quels sont pour vous les « fondamentaux » de l’école ?

R-F.G. : Réduire les « fondamentaux » à lire, écrire, compter, avec même l’étonnant « respecter autrui », comme Jean-Michel Blanquer le propose est proprement scandaleux. Sur le chemin qui mène vers la culture, il faut bien sûr des procédures automatisables comme le décodage ou les opérations arithmétiques. Il est important que les élèves les maîtrisent pour se libérer l’esprit au profit d’activités plus créatives. Mais ce qui ne devrait être qu’un moyen vers des apprentissages plus élevés devient une finalité. Ces « fondamentaux » sont d’ailleurs très incomplets « parler », par exemple, « apprendre à vire avec autrui », ce n’est pas fondamental ? Mais surtout, il y a derrière l’idée que les enfants du peuple s’en contenteraient tandis que ceux de l’élite, en famille ou à l’école, auraient droit à des nourritures culturelles nettement plus ambitieuses. Les fondamentaux, c’est l’exigence de culture commune qui aide nos élèves à se débrouiller dans la complexité du monde. Et nous ne pouvons que constater des absences criantes, comme la psychologie ou le droit. Mais surtout, ce qui est « fondamental », c’est que chacune des disciplines enseignées se dote d’une approche critique. Pourquoi l’humanité s’est-elle embarquée dans ces savoirs ? Quel sens font-ils ? Il est ainsi aberrant qu’on enseigne les mathématiques sans amener les élèves à réfléchir aux splendeurs et misères du monde algorithmique : le big data, l’intelligence artificielle…

Comment faire avec des programmes qui varient à chaque alternance politique ?

R-F.G. : Cette valse des programmes est lamentable. Dans bien des pays, les programmes ne relèvent pas seulement de la loi, ils ne peuvent pas être bougés par les dirigeants qui se succèdent. Mais en France c’est une obsession de la plupart des ministres : même le « socle commun » qui pouvait prétendre à quelque pérennité, et bien cela n’a pas ému grand monde que Jean-Michel Blanquer le remette aussitôt en chantier. Cela devrait être une question traitée différemment en droit constitutionnel. Les programmes sont des actes politiques qui engagent le long terme, il faut les déconnecter de la décision au jour le jour de ministres qui ne sont que de passage.

Roger-François Gauthier

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