Main basse sur l'école

Mis à jour le 06.11.19

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Pour Philippe Champy, la liberté pédagogique est menacée par les neurosciences.

Philippe Champy

Philippe Champy, diplômé en philosophie, en sciences de l’information et en sciences politiques, a développé des ressources pour la recherche pédagogique durant 15 ans à l’Institut national de recherche pédagogique. Il se tourne ensuite vers l’édition au sein des éditions Retz dont il fut le directeur général. Il vient de publier Vers une nouvelle guerre scolaire aux éditions La Découverte.

Vous publiez « Vers une nouvelle guerre scolaire. Quand les technocrates et les neuroscientifiques mettent la main sur l’Éducation nationale » pourquoi ce titre ?

Philippe Champy : C’est une référence aux guerres scolaires qui ont jalonné l’histoire de l’école, dans les années 1880 par exemple, pour imposer l’école laïque contre l’église ou contre les parents qui contestaient les choix de manuels par les enseignants. C’est Jules Ferry et Ferdinand Buisson qui ont instauré la liberté pédagogique qui a trois volets : la liberté d’édition (pas d’autorisation préalable ni de veto), la liberté du choix collectif de leurs manuels par les enseignants et celle de les utiliser à leur guise. Aujourd’hui il y a une remise en cause de cette liberté pédagogique et une volonté de la part de très hauts responsables du ministère d’imposer des méthodes et des outils aux enseignants. C’est une guerre qui ne dit pas son nom entre la haute technocratie néo-libérale et les professeurs, comme on le voit au primaire.

Qu’est-ce que vous craignez de ces technocrates ?

P.C. : Un « reformatage » complet. Ils pensent que l’État social est beaucoup trop développé et que les professeurs font mal leur boulot. En revanche, ils déplorent que l’État du contrôle social ne soit pas assez puissant. Le néo-libéralisme n’est pas l’ennemi du dirigisme. Ils veulent multiplier les injonctions pédagogiques, que le ministre, un juriste ne l’oublions pas, signe lui-même. Ils veulent labelliser les manuels scolaires et les ressources. Ils veulent faire croire qu’avec leurs méthodes « neuro » tous les enfants vont réussir. De plus, au sommet du ministère, les hauts technocrates espèrent pouvoir récupérer un contrôle sur les ressources produites par les enseignants grâce au numérique. C’est le danger d’une instrumentalisation liberticide. On parle d’une « révolution civilisationnelle » comme si tout était « spontané » et on oublie que ce sont « les seigneurs numériques », les fameux GAFAM et leurs équivalents asiatiques, qui pilotent le numérique par-dessus la tête des États.

En quoi les neurosciences sont-elles instrumentalisées ?

P.C. : Parce que ça revient à exclure des pans entiers des sciences humaines et des sciences de l’éducation, de la didactique, et d’une façon plus générale, de la pédagogie. C’est aussi minorer le poids des déterminismes sociaux. D’importants biais en découlent : on dit que c’est le cerveau et les neurones qui apprennent, pas les élèves. L’apprentissage est ramené à un phénomène neurobiologique dont on pourrait déduire des méthodes pour enseigner. Enseigner serait une science, comme la neurobiologie. Associé au naturalisme, le biais scientiste légitime les injonctions pédagogiques du ministre et des formes d’évaluation et d’expérimentation visant à imposer aux enseignants leurs façons de faire.

Comment faire pour accéder à des ressources fiables ?

P.C. : Il y a l’offre pluraliste et diversifiée de l’édition scolaire avec des collections et des auteurs reconnus. Comparer les offres – y compris numériques – pour faire un choix raisonné nécessite du temps. C’est ici que la mise en commun des expériences peut apporter une aide précieuse et un gain de temps pour les équipes. Il y a aussi de bonnes ressources sur internet. Le pendant négatif de leur gratuité est leur dématérialisation – qui impose bien souvent l’impression papier –, leur éparpillement et leur côté lacunaire. C’est l’enseignant qui doit aller à la pêche et recomposer une cohérence, ce qui est une gageure pour les débutants. Le propre d’une bonne édition scolaire c’est précisément d’assurer la cohérence entre les différentes ressources, grâce au travail pointu des auteurs, afin qu’elles s’inscrivent dans une progression qui ait du sens sur un plan cognitif et didactique dans différents contextes scolaires. Les ressources éditorialisées, le manuel, ne sont pas un agglomérat de granules, ce sont des œuvres intellectuelles à part entière. Elles permettent d’éviter des errements didactiques dans un cadre qui reste ouvert aux apports personnels.

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