Langage : c’est pas que des mots

Mis à jour le 04.10.19

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Apprendre le langage, c’est bien plus que mémoriser des listes de mots

Pour la maternelle, la circulaire de rentrée préconise un enseignement du langage en mettant la focale sur l’apprentissage du vocabulaire. Mais apprendre le langage, c’est bien plus que mémoriser des listes de mots, c’est apprendre à communiquer et à exprimer sa pensée. Un enseignement complexe.

« L’école maternelle a un rôle primordial à jouer dans la prévention de l’échec scolaire en faisant de l’enseignement du langage une priorité, dès le plus jeune âge. » Les recommandations pédagogiques accompagnant la circulaire de rentrée reprennent cette idée largement partagée. Mais, ce texte préconisant de « stimuler et structurer le langage oral », de « développer et entraîner la conscience phonologique », sans remettre en cause les programmes de 2015 largement plébiscités par la profession, prend le risque de primariser la maternelle. Et, dans son guide Les mots de la maternelle publié mi-septembre, le ministre choisit de mettre la focale sur le vocabulaire et le lexique, ce qui donne une approche réductrice de l’enseignement du langage. A priori pourtant, cette approche rassure. « L’acquisition du vocabulaire est « chiffrable », « mesurable », « observable » », constate Philippe Meirieu, professeur émérite en sciences de l’éducation. Mais, observe-t-il, « à condition de ne pas imaginer qu’il suffit d’avoir un dictionnaire mental pour s’exprimer oralement, on parle toujours à quelqu’un pour lui dire quelque chose… Sans ce projet d’entrer en relation avec autrui tous les exercices du monde ne sont qu’une vaine gymnastique ». Autrement dit, le travail sur le langage en maternelle n’a pas pour seule finalité d’apprendre du vocabulaire même si les mots, composante essentielle de l’expression orale, doivent être acquis. L’école a d’ailleurs un rôle important à jouer en ce sens car tous les enfants n’arrivent pas à la maternelle avec le même bagage lexical. Mais une chose est d’apprendre une liste de mots, autre chose de savoir les utiliser pour exprimer sa pensée.

Un enjeu de réduction des inégalités sociales

Les enfants n’arrivent pas tous à l’école non plus avec les mêmes pratiques langagières. « Selon la classe sociale mais surtout selon le niveau de capital culturel des parents, les enfants n’apprennent pas le même rapport au langage », souligne Marianne Woollven, sociologue à l’université Clermont-Auvergne. « Dans les classes populaires, les parents sont moins diplômés, lisent moins et transmettent un rapport pragmatique au langage. Alors que pour les enfants plus dotés, c’est aussi manipuler le langage, jouer avec les mots ou encore parler de choses que l’on ne voit pas comme inventer des histoires ».

Pour ne pas faire de la maternelle une école à deux vitesses, chaque élève doit avoir accès à toutes les fonctions du langage et pas aux seules listes de mots. L’élève doit apprendre à maîtriser le langage de situation qui permet de parler directement de l’activité en cours. Il doit aussi avoir accès au langage d’évocation, plus abstrait, plus proche de l’écrit et de la culture scolaire ; un langage pour structurer la pensée, construire les savoirs. Dès lors, se pose la question du comment faire. « Dis-moi comment tu parles aux élèves, je te dirai comment tu leur apprends à parler », sourit le didacticien du français Yves Soulé. « Mais attention, prévient-il, pas de lexique sans syntaxe, sans contexte ! Une part importante du travail doit être consacrée très tôt à ce qui environne le mot : un cadre syntaxique et sémantique particulier ». Pour lui les enseignantes et enseignants doivent « mobiliser tous les domaines d’apprentissage, pourvoyeurs de situations langagières pertinentes ».

“Sans ce projet d’entrer en relation avec autrui tous les exercices du monde ne sont qu’une vaine gymnastique’’

Un geste très professionnel

Mais cet enseignement est complexe, d’autant que la formation initiale se fait assez discrète sur le sujet. « Durant toute ma formation on a tout juste consacré une semaine à la maternelle, alors le langage, il a à peine été abordé », témoigne une jeune professeure des écoles, alors qu’enseigner le langage dans toutes ses dimensions à la maternelle est un acte hautement professionnel. Cela, les équipes enseignantes en sont convaincues. « Apprendre du vocabulaire pour apprendre du vocabulaire n’a pas de sens. Le vocabulaire doit être au service de la compréhension », explique Stéphanie Jollet-Faron, directrice de l’école maternelle Hautes Saules à Blois (41). Un enjeu primordial dans cette école classée en REP+ où les élèves souvent éloignés de la culture scolaire ont besoin plus qu’ailleurs de clefs pour entrer dans les apprentissages. Une idée partagée par Laurence Mehaute, enseignante à l’école de la Libération à Rochefort (17). Elle constate elle aussi « que les enfants arrivent avec un bagage très différent » et, forte de son expérience ose un conseil : « c’est important de les écouter jusqu’au bout de leur pensée, attendre qu’ils trouvent leurs mots. Il faut se saisir de cette liberté de temps dont on dispose en maternelle ». La maternelle, l’école qui doit avoir les moyens de travailler de front l’ensemble des compétences langagières. Seule manière de lutter efficacement contre les inégalités sociales de destin scolaire.

« Chaque enfant enrichit son vocabulaire par l’usage, l’échange, dans des situations variées où le langage parlé est nécessaire ». C’est par cette phrase que commence le dernier guide, Les mots de la maternelle*, mis à disposition par le ministère courant septembre. Un propos liminaire qui semble relever du bon sens et qui vient par la même tenter de trouver un équilibre entre les tenants d’un enseignement du vocabulaire reposant sur des listes prédéfinies, travaillées dans des séances formelles et ceux qui pensent que l’enrichissement du langage ne peut se faire qu’en contexte et dans des situations réelles. Le document ne tranche finalement que très peu et tente de ménager deux conceptions quelque peu en opposition pédagogique. Car si les activités de présentation, de catégorisation voire de mémorisation de vocabulaire peuvent avoir leur utilité, elles ne permettent pas pour autant d’en assurer immédiatement une appropriation réelle.
*sur www.eduscol.education.fr

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