D’égale à égal
Mis à jour le 28.11.25
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En plein cœur du XVe à Paris, Tillia Février cutlive le goût des maths chez les filles.
“Un jeu d’enfant”. Matériel à l’appui, Lyna* détaille les stratégies qui l’ont menée au résultat de son calcul mental 45 + 20. Une habitude pour cette élève de CE1 à l’école François Coppée du XVe arrondissement parisien. Ici, pas de pression de temps, elle avance sereine dans son raisonnement au rythme de ses hésitations, accompagnée de sa maîtresse, Tillia Février. Pour cette dernière, expliciter les stratégies permet de lutter contre les inégalités d'apprentissage. « C’est important que les élèves verbalisent leur démarche, notamment pour les élèves les moins en connivence avec les codes scolaires, mais aussi les filles qui sans sollicitation ne prennent pas forcément la parole ».
À quelques pas de là, Eleanor et Jinène enchaînent ensemble les calculs à la vitesse de l’éclair. Les barres de dix sont utilisées pour vérifier le résultat. « J’aime bien les maths parce que je suis forte » lance Jinène. Schéma, résultat, stratégie, Tillia prend soin de valoriser chacun et chacune de ses élèves, en particulier les filles. « Développer le sentiment de compétence est essentiel car les élèves ont souvent une perception erronée de leur intelligence ». Elle revendique l’ardoise comme un support pour réfl échir et non pour afficher un résultat. « Ne pas devoir lever l’ardoise retire des angoisses, notamment l’angoisse de l’ardoise blanche », affirme-t-elle avant d’ajouter : « l’idée est de ne mettre personne en concurrence car la compétition nuit à l’estime de soi des filles ».
Sa collègue Murièle Couilleau, spécialiste des questions d’inégalités entre filles et garçons précise que si « acquérir des automatismes pour le calcul est important, la rapidité c’est d’abord par rapport à soi, par rapport à ses apprentissages et non par rapport aux autres ».
DES PROBLÈMES AU GOÛT DU JOUR
Cela fait déjà deux ans que Tillia s’interroge avec ses collègues sur les pratiques pour les rendre plus égalitaires. Ayant elle-même un parcours de formation spécialisé en mathématiques, elle se sent à l’aise pour donner aux filles le goût des mathématiques. « Avant, je ne me posais pas la question parce qu’il est évident que les filles ne sont pas moins fortes en mathématiques que les garçons, mais le constat montre que les filles sont peu nombreuses dans les filières scientifiques. »
Cette enseignante remarque que les stéréotypes de genre présents dans la société n’épargnent pas la classe. Elle a commencé à observer la manière dont elle distribue la parole par exemple et « je veille désormais à alterner la parole des filles et des garçons ». En maths, elle est attentive aux énoncés de problèmes. Si aujourd’hui beaucoup de manuels proposent des énoncés égalitaires, « je vérifie toujours et modifie si ce n’est pas le cas ». Par ailleurs, en classe, lors de la constitution de groupes, elle pense aussi à valoriser les filles « un peu leadeuses pour mettre en avant leurs compétences ». Aujourd’hui, si Lina « aime les mathématiques c’est parce que la maîtresse les aime aussi ». Un modèle féminin à portée de main pour les élèves de cette classe, à l’image des “Nanas” de Nikki de Saint Phalle visibles dès l’entrée dans l’école.
* Les prénoms ont été modifiés
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