Mobilité : mythe ou réalité ?

Mis à jour le 03.09.20

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La vocation, l’expérience et la motivation ne suffisent parfois plus pour toute une vie.

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La souffrance au travail et la lassitude se sont fait jour dans la carrière des enseignant·es. La vocation, l’expérience et la motivation ne suffisent parfois plus.

Qu’ils soient jeunes ou plus proches de la retraite, les enseignants et les enseignantes s’interrogent de plus en plus sur le sens de leur métier, dénonçant un manque de reconnaissance et une dévalorisation de leur profession et exprimant parfois aussi leur souffrance au travail. Peut-on encore exercer cette profession toute la vie ? Comment trouver les ressources nécessaires pour durer dans le métier « en bon état » ? Et si on faisait autre chose ?
Depuis plusieurs années, des rapports parlementaires et ministériels, des enquêtes de l’inspection générale et de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) ainsi que des recherches universitaires ont mis en lumière les difficultés professionnelles rencontrées par les enseignant·es, l’usure qui peut les conduire à l’épuisement et les conséquences sur leur santé physique et psychique. Dans une enquête réalisée en décembre 2015 par Harris Interactive à la demande du SNUipp-FSU, 58% des personnes interrogées se déclarent « pas satisfaites » de leur situation professionnelle. Et ce pourcentage monte à 67% chez les 50 ans et plus. 88% pensent que la profession en primaire s’est dégradée, 93% chez les 50 ans et plus. Si les PE se déclarent majoritairement satisfaits de l’ambiance de travail et de la diversité des contenus enseignés, ils se montrent plus critiques sur la place des tâches administratives, leurs formations, le salaire, la charge de travail ou les perspectives de carrière. Une entrée dans le métier plus tardive (30 ans en moyenne en 2018 selon la Depp), une moyenne d’âge en hausse (41,6 ans lors du bilan social 2013/2014 contre 43 ans en 2015/2016), des conditions de travail plus difficiles, des perspectives de départ en retraite qui se dégradent et la fin des dispositifs d’aménagement de fin de carrière… 30% des personnels enseignants, même s’ils ne le font pas, rêvent souvent de reconversion.

Quelles perspectives ?

Si les ministres qui se succèdent rue de Grenelle communiquent aisément sur la question, la gestion des ressources humaines apparaît défaillante à l’Éducation nationale. Les dysfonctionnements professionnels, le manque de confiance de la hiérarchie et une infantilisation de la profession ne permettent pas l’évolution nécessaire pour sortir du « vocationnel ». La diversité du métier permet de changer d’école (1 PE sur 5) et en principe de travailler à temps partiel, d’assurer des missions non enseignantes (CPC ou direction), de se spécialiser ou de décrocher une année de congé professionnel, mais le manque de personnel et d’investissement dans la formation contraignent ces possibilités. Le taux de satisfaction des permutations baisse d’année en année (23,34% en 2020). Et les fonds alloués à l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE) se réduisent comme peau de chagrin. Restent alors les concours internes de la Fonction publique. Les détachements dans le second degré ou dans une autre administration relèvent de l’exception.

Démissionner ?

La loi de 2009 encourage la mobilité professionnelle, les bilans de compétences et crée les conseillers mobilité carrière. Malgré cela, quitter l’enseignement est ressenti comme un échec et non comme un élément de développement personnel. Si les démissions sont plus fréquentes chez les enseignant·es stagiaires et restent peu significatives en valeur absolue. Le dernier bilan social (2017/2018) montre une hausse rapide des démissions (de 322 en 2011/2012 à 861 en 2016/2017). Le décret de 2014, qui a restreint l’accès à l’indemnité de départ volontaire, a toutefois limité le nombre de démissions. La loi sur la transformation de la Fonction publique du 6 août 2019 avec la mise en place de la rupture conventionnelle à titre expérimental pourrait pour sa part, changer la donne. L’État employeur saura-t-il revaloriser une profession qui a perdu son attractivité et accompagner les enseignants qui souhaitent embrasser une « seconde carrière » ?

Questions à Françoise Lantheaume, sociologue, professeure en sciences de l’éducation à l’université Lyon 2.

Pourquoi l’usure au travail est-elle si forte ?

L’usure au travail est un phénomène complexe aboutissant à des problèmes de santé physique et mentale. Elle provient de la charge de travail, de la répétition de gestes sollicitant le corps, de la charge mentale liée à la diversité des tâches et à la pression faite aux enseignants et qu’ils se mettent aussi pour la réussite d’élèves très hétérogènes. La multiplication des injonctions et réformes dans des temps courts est également une source d’usure car il faut redéfinir ses façons de faire, de penser le métier sans avoir le temps de vérifier les résultats de son action. Parfois des relations conflictuelles avec la hiérarchie, des collègues, des parents contribuent à cette usure. Elle est aussi liée à une perte d’autonomie dans le travail. Il ne s’agit pas d’un individualisme passéiste, mais de la nécessité pour les professionnels (individus et collectifs) de s’approprier avec prudence et intelligence les consignes institutionnelles. Prudence car elles ignorent le contexte de travail, les élèves, leur famille, le réel, et le temps long de la pédagogie. Intelligence car travailler, c’est adapter ce qui est demandé de faire et s’adapter en prenant en compte ce réel.

Sont-ils bien accompagnés dans leur carrière ?

Nos enquêtes montrent que les enseignants ne se sentent pas accompagnés et que les opportunités d’évolution sont limitées. Ils ont du mal à se projeter dans une « carrière » qui leur semble obscure quand ce n’est pas empêchée, nonobstant les efforts d’IEN soucieux d’un certain accompagnement dans le peu de temps qu’ils peuvent y consacrer. Pour compenser cette lacune, les enseignants construisent des stratégies leur permettant de trouver un peu de mobilité (changement de niveau de classe, mutation, nouvelle fonction, conduite de projets ouvrant sur d’autres univers) et d’obtenir une reconnaissance que l’institution ne leur apporte guère. Ces stratégies peuvent conduire certains à quitter l’Éducation nationale, d’autres, en revanche, s’y ressourcent et trouvent un nouvel intérêt au travail entre la mobilisation de routines efficaces, expérimentées et leur remise en cause.

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