Il suffira d'un signe

Mis à jour le 11.12.19

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Signer avec les élèves pour développer leurs compétences langagières, un pari réussi pour Agnès Henrion qui vient de remporter le grand prix du 11e Forum des enseignants innovants.

Les petites mains s’échauffent, les bras et les joues se détendent et les regards, très vite, se tournent vers Agnès Henrion, enseignante spécialisée de RASED qui par un signe du bout des doigts sur ses lèvres, adresse son bonjour. Il est 14h et ce petit groupe d’élèves de l’école maternelle Jean Moulin d’Haucourt-Saint Charles, près de Longwy (54) a l’habitude chaque semaine de retrouver la maîtresse E pour une séance de langue des signes en demi-classe. Pour commencer, Marielle Harelle, l’enseignante de la classe de moyenne section, fait défiler à l’aide d’un porte-vues les lettres de l’alphabet et les doigts se positionnent avec attention pour les signer en même temps que les lettres sont oralisées. Sous la conduite des mains d’Agnès, les enfants sont captivés et les enseignantes ont pu remarquer depuis deux ans que l’acquisition du principe alphabétique s’est grandement améliorée dans leur éscole. « Pour l’apprentissage des couleurs également », remarque Emilie Grandclaude, enseignante des PS, « on observe que le fait de les signer leur permet de mieux les connaître ». Une mémorisation qui passe par le corps et qui justifie pleinement qu’Agnès Henrion puisse intervenir dans le cadre d’un projet de prévention auprès de ces élèves de REP.

50 nuances de signes

La séance se poursuit en se remémorant les signes appris la fois précédente, les couleurs et leurs nuances justement, à l’aide d’un petit geste du bout des doigts qu’un regard non averti a bien du mal à saisir. Mais pas de confusion pour ces « signeurs et signeuses en herbe » qui semblent bien avoir acquis les nuances de foncé et clair, qu’ils ajoutent à la couleur des cheveux gris, bruns, châtains ou blonds. « Des notions très abstraites qu’ils maîtrisent déjà grâce à cette approche », s’enthousiasme Marielle. Avant de découvrir de nouveaux animaux, les volontaires se mettent en scène dans un jeu de « devine-signe » sans dire le mot cette fois, puisqu’ils doivent le faire découvrir à leurs camarades. Riad signe les moustaches du chat, Louise l’araignée qui descend de sa toile. Chaque animal est ainsi représenté par une de ses caractéristiques. Et de manière remarquable, ces tout-jeunes élèves sont déjà capables de distinguer une chouette, d’un hibou, devant signer pour ce dernier les aigrettes bien connues des ornithologues.

Une formation en continu

Ces apprentissages, les enseignantes de l’école se les approprient au fur et à mesure, en même temps que les élèves et elles les réinvestissent chaque fois que l’occasion se présente dans le quotidien de la classe. « Maintenant que j’y ai goûté, je ne me vois plus pratiquer mon métier sans », note Émilie. Un constat que partage également Amandine Commisso, enseignante de grande section, qui, un peu sceptique au départ, s’est finalement laissée emporter. « Les petits parleurs, ça les aide à s’exprimer. Ils commencent par le signe avant d’engager la parole. Je réinvestis beaucoup le vocabulaire signé pendant les séances de rituels, mais aussi lors de lecture de contes ou encore pour les termes de position en motricité par exemple », explique-t-elle. Et puis il y a eu Enzo qui est arrivé en milieu d’année dernière dans la classe de Marielle. Atteint de troubles envahissants du développement, il criait, ne fixait pas le regard. Il a pu en revanche s’emparer de la langue des signes et cette possibilité de communiquer lui a permis de se calmer. « Dans cette école, lorsqu’un enfant fait mal à un autre, il lui est plus facile de demander pardon en langue des signes », sourit Agnès. Il y a trois ans, elle s’est passionnée pour la langue des signes grâce à une formation continue dispensée dans un lycée près de Nancy et ce réinvestissement est une opportunité qu’elle goûte chaque jour. « Ma vie a changé depuis que j’apprends la langue des signes. La vie des enfants a pris un autre chemin, ils apprennent plus vite. Pour l’accueil des primo-arrivants c’est un super outil qui leur permet d’oser s’exprimer avant même de prononcer leurs premiers mots en français, un langage presque universel beaucoup plus simple », affirme-t-elle. L’an dernier un conseiller pédagogique l’a sollicité pour animer un temps de formation. 110 personnes sont venues et certaines ont commencé à se lancer seul. « C’est relativement simple, il suffit d’apprendre l’alphabet, les couleurs, les animaux et on peut facilement réinvestir », indique Agnès. Et chaque semaine, elle complète un Padlet en ligne, des ressources qu’elle met à disposition. Un partage qu’elle vient également avec des proches de poursuivre en créant une association au joli nom de Signer qua non, comme une condition nécessaire au prolongement d’une belle histoire. 

Interview de Frédéric Brossier,
directeur de projet « recherche partenariat-innovation » à l’INJS*-Paris

Quel intérêt d’apprendre la langue des signes ? 

C’est toujours une richesse d’apprendre une langue supplémentaire. La langue des signes passe par une autre voie, celle du visuo-gestuel et non pas de l’audio-phonatoire, ce qui met sans doute des procédures cognitives à l’œuvre distinctes de ce que l’on peut trouver dans le cheminement habituel pour apprendre une langue vocale. Le canal visuo-gestuel impose des contraintes de réalisation dans l’espace et de perception difficilement comparables aux contraintes du monde sonore. Mais lorsqu’un enfant signe le mot « gâteau », parce qu’il ne peut pas l’oraliser compte-tenu du manque de maturation de son organe phonatoire, cela veut par contre dire qu’il a déjà mentalement le concept de gâteau. Ce n’est donc qu’une question pratique. La langue des signes peut faciliter la communication mais cela ne valide pas une voie kinesthésique qui serait plus favorable globalement aux apprentissages.

Permet-elle d’aider les élèves ? 

S’il y a des problèmes d’interaction entre les élèves, des enfants qui ont du mal à gérer leur comportement, alors oui la communication signée peut aider certains à se canaliser et à se concentrer. Cela peut s’avérer pratique dans la gestion de crise. On peut même avec des enfants qui ont des troubles sévères du langage, de type dys ou des troubles du comportement, rechercher un effet de remédiation intéressant. Enfin, pour les élèves sourds eux-mêmes, qui sont en milieu ordinaire, une communication qui démarre par quelques signes leur permet de se sentir moins isolés. Lorsqu’un sourd peut communiquer avec un entendant, des liens amicaux s’instaurent tout de suite et c’est donc très important qu’il puisse avoir avec lui des élèves et des adultes qui possèdent déjà quelques signes. 

*Institut national des jeunes sourds

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