Apprendre à lire...une méthode ?

Mis à jour le 23.03.21

min de lecture

Décryptage autour de l'apprentissage de la lecture

Bien apprendre à lire ne relève pas simplement du choix d’une méthode mais d’un processus complexe lié aux pratiques de classe de chaque PE. Dans ce contexte, pourquoi imposer un manuel de lecture ?

décryptage lecture

Pour la première fois en France, un manuel officiel (Lego) de lecture et d’écriture voit le jour. Proposé en 2020-2021 de manière expérimentale
aux PE volontaires, il devrait se généraliser à la rentrée prochaine et être diffusé gratuitement dans toutes les écoles.
Une démarche ministérielle qui inquiète particulièrement au regard du sujet sensible qu’est l’apprentissage de la lecture.
Depuis plus de trente ans, « une guerre des méthodes » oppose méthodes « syllabique », « globale » et « mixte ». La première repose sur l’enseignement du code et le décodage alphabétique tandis que la seconde s’appuie sur la reconnaissance visuelle des mots « photographiés » par les enfants pour qu’ils puissent mieux les repérer. Dans les années soixante-dix, le constat est fait que beaucoup d’élèves entrant au collège n’ont pas les savoirs attendus pour poursuivre leur scolarité. Jusque-là, un « bon lecteur » était celui capable de lire à haute voix de manière fluide et expressive, désormais, il devra aussi accéder à une lecture silencieuse et autonome lui permettant de tirer des informations et interprétations d’un texte. Des expériences d’apprentissage de la lecture par la « méthode globale » seront menées mais resteront extrêmement minoritaires. Très vite, les enseignantes et les enseignants font le choix du pragmatisme et de l’efficacité et utilisent la méthode dite « mixte » en dosant « b.a.-ba », reconnaissance visuelle de mots outils et travail sur le sens.

Des choix validés par la recherche

Déjà en 2003, une conférence de consensus apaise les débats et préconise de mener simultanément des activités en classe portant à la fois sur le code et le sens. En 2016, le CNESCO* pointe les obstacles auxquels sont confrontés les élèves lors de cet apprentissage complexe et rappelle que « savoir lire » est une compétence centrale qui progresse de la maternelle à l’enseignement supérieur. L’apprentissage de la lecture n’est donc pas uniquement l’affaire du CP. L’étude « Lire-Ecrire », la même année, confirme qu’il n’y a pas de méthode ni de manuel parfaits. Elle relève qu’il faut enseigner de manière soutenue les correspondances graphophonémiques durant les premières semaines de CP et travailler simultanément la compréhension et l’encodage. En 2017, avec l’appui d’une partie des neurosciences, le ministère de l’Éducation nationale met en avant un apprentissage par étape de la lecture renvoyant le travail sur la compréhension après la maîtrise du déchiffrage. Une conception qui va à l’encontre des besoins des élèves français : ils sont en effet de bons déchiffreurs mais peinent dans la compréhension fine des textes selon les études internationales PIRLS et PISA.

Un apprentissage complexe

Apprendre à lire fait appel à de multiples compétences. S’il faut associer le travail sur le code et le sens, il convient également de nourrir le projet de lecteur de l’élève. Lire n’est pas un « savoir » mais un moyen, un outil qui sert à autre chose que lui-même. Il n’y a pas une lecture mais des lectures diverses et nombreuses. Il convient donc d’apprendre ces différents types de lecture avec les outils correspondants. De plus, la complexité orthographique de la langue française rajoute des difficultés que n’ont pas les petits élèves italiens. Apprendre à lire est aussi l’affaire de toutes et tous comme le dit l’AFL**,
à l’école, dans la famille, au centre de loisirs, à la bibliothèque de quartier...
La façon de considérer l’acte de lire et d’écrire constitue un véritable choix politique. Quels citoyens l’école va-t-elle former, de bons petits soldats ou des personnes capables de penser par elles-mêmes?
*Centre national d’études des systèmes scolaires
** Association française de la lecture

Roland goigoux

Roland Goigoux est professeur émérite des universités, spécialiste de l'enseignement de la lecture

Pour entrer dans la lecture, quels obstacles ?

Les élèves doivent comprendre comment les lettres produisent des sons et comment les sons sont encodés par des lettres, comprendre le lien entre la lecture et l’écriture. Le lexique est aussi un obstacle. Les enfants qui manquent de vocabulaire ont du mal à réguler leur activité, à savoir si ce qu’ils déchiffrent convient ou pas sans image acoustique du mot. Enfin, une faiblesse dans le raisonnement les pénalise. Dans n’importe quel texte, les enfants doivent apprendre à aller au-delà de ce que dit le texte, notamment avec deux pistes principales qui sont comprendre les intentions, les émotions des personnages et les relations de causalité.

Le manuel Lego répond-t-il à ces difficultés ?

Sur le principe alphabétique, plutôt oui, sur les deux autres points plutôt non. La méthode Lego outrepasse les principes énoncés par le conseil scientifique (CS). Par exemple, Lego applique le 100% déchiffrable alors que le CS préconise que les textes doivent être « suffisamment décodables », contenir « entre 70 et 85 % de mots intégralement décodables » et reporte l’enseignement de la compréhension à plus tard. À la fin de l’année scolaire, le ministère n’aura pas les moyens scientifiques de conclure quant à la plus-value ou non de cette méthode. Il serait alors en porte-à-faux complet avec sa propre politique qui consistait à dire « on sera les promoteurs d’une éducation fondée sur la preuve ».

Quelle place faut-il donner à l'étude de la langue et à la compréhension ? 

L’étude « Lire-Ecrire » a montré que les classes de CP qui consacraient le plus de temps à l’étude de la langue faisaient partie des classes les plus efficaces y compris avec les élèves les plus faibles parce que justement elles amenaient les enfants à raisonner sur les marques inaudibles mais porteuses de sens. Elle a aussi mis en évidence que les classes les plus efficaces sont celles qui faisaient écrire le plus les élèves, l’encodage favorisant le décodage et amenant à raisonner sur les marques typographiques. Enfin, là où les maîtres conservaient un peu de temps pour enseigner la compréhension, y compris sur des textes que les enfants ne sont pas encore capables de lire seuls, étaient également les classes les plus efficaces.

Et ailleurs ? 

Dans la plupart des pays européens, l’enseignement de la lecture commence, à 6 ans, lors de la scolarité obligatoire. Souvent une première approche de la langue écrite est officiellement prévue dans le cadre de l’enseignement pré-obligatoire : c’est le cas en Belgique, en Grèce, en Espagne, en Italie ou aux Pays-Bas. L’approche de la lecture y est fonctionnelle et non formelle, « lire pour fabriquer », « lire pour cuisiner »… Seuls les pays nordiques démarrent l’apprentissage de la lecture, à l’âge de 7 ans. Depuis 1991,
en Suède, il est possible de commencer l’enseignement de la lecture à 6 ans. La majorité des pays insiste sur les correspondances graphophonétiques au début de l’apprentissage et juxtaposent étude du code et construction du sens. C’est le cas de la Belgique, de l’Espagne et du Luxembourg. D’autres pays comme l’Angleterre et le Danemark n’enseignent plus à déchiffrer pour comprendre, ni à anticiper le sens du texte mais à recourir à des stratégies variées (correspondances graphophonétiques, reconnaissance visuelle des mots, informations données par le contexte). Le Portugal se distingue par une approche centrée sur la stratégie de recherche du sens dès le début de l’enseignement obligatoire et l’importance de prendre en compte le développement de l’enfant.
Source : « L’apprentissage de la lecture en Europe » aux Presses universitaires du Midi

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