LEGO, vers un manuel ministériel ?
Mis à jour le 05.07.21
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Depuis la rentrée 2020, le ministère expérimente dans des classes de CP la méthode de lecture « LEGO je décode ». Ce faisant, Jean-Michel Blanquer avance dans ses tentatives d’imposer une méthode unique inspirée des méthodes syllabiques d’antan, colorées de neurosciences, qui sont pourtant bien loin de faire consensus. Cette manière de procéder constitue une attaque en règle contre la liberté pédagogique et nie l'expertise des enseignant·es.
Une méthode controversée
« LEGO » est une méthode réalisée dans le cadre du « plan lecture » qui prend en compte les « principes du guide de référence pour l'enseignement de la lecture et de l'écriture au CP (guide orange) ». Elle est basée sur « une progression régulière et structurée de l'étude des correspondances grapho-phonologiques ».
A y regarder de plus près, le cheminement proposé survalorise le déchiffrage de syllabes, mots et pseudomots, qui vise l’automatisation de séquences de lettres qui n’existent pas.
« Faire lire et même écrire , des mots qui n'existent pas, questionne. Lire c'est avant tout un accès au sens »
Patrice Gourdet, maitre de conférence en sciences du langage
Cette méthode, en faisant « lire » des combinaisons de lettres, part du principe que la compréhension proviendrait du fait de s’entendre oraliser des graphèmes, mots et phrases. Or d'autres entrées existent, comme le souligne la chercheuse Evelyne Charmeux qui insiste pour défendre que « l'objectif prioritaire au CP est de développer la capacité de l'enfant à explorer le texte et à formuler des hypothèses en les justifiant ».
La voie directe est brièvement évoquée dans le livre du professeur, mais de manière extrêmement restreinte, comme reconnaissance d’un stock de vocabulaire, en lieu et place de la capacité à repérer des unités de sens qui donnent les clés de compréhension des mots. Et surtout, elle est totalement absente du manuel !
Difficile dans un tel dispositif, pour les enfants éloignés de la culture écrite, de se représenter le sens de l’activité et de se construire la « conscience orthographique » visuelle qui est l'un des principaux points d'appui à la compréhension.
L'accès à une lecture experte ne peut en aucun cas mettre de côté la compréhension, ou considérer qu’elle vient dans un second temps. D’autant qu’elle est, et toutes les enquêtes internationales le confirment, une des principales clés de la démocratisation scolaire.
La liberté pédagogique remise en question
Inscrite dans la loi depuis 2005, la liberté pédagogique est une notion ancienne. Avec sa méthode Lego, le ministre Blanquer revient à l’ère impériale du ministre Fortoul en 1855 en voulant contrôler avant parution les manuels sous prétexte d’expérimentation. Cela découle d'une vision erronée et étriquée du métier, qui considère les PE comme des exécutant·es et non comme des praticien·nes effectuant des choix parmi les outils à leur disposition.
« Depuis le ministre Robien en 2006, l'apprentissage de la lecture est redevenu un thème d'instrumentalisation politique. » Philippe Champy, ancien éditeur scolaire
On ne transforme pas l’école en retirant à celles et ceux qui font l’école au quotidien, leur pouvoir d’agir. La liberté pédagogique, les collectifs de travail sont des éléments de la culture professionnelle qui peuvent évoluer, se transformer mais certainement pas de la seule volonté et des conceptions d’un homme, aussi ministre soit-il.
