Grand entretien
Riad Sattouf : « J’aime le regard candide de l’enfance"
3 février 2016

Riad Sattouf est l’auteur du Retour au collège et de La vie secrète des jeunes, une chronique de l’adolescence dans les années 2000. Double lauréat du prix du meilleur album au FIBD, en 2010 pour Pascal Brutal et en 2015 pour L’arabe du futur, il est également cinéaste ( Les beaux gosses, césar du meilleur premier film et Jacky au royaume des filles). Sa nouvelle bande dessinée Les cahiers d’Esther vient de paraître.

Dans Les Cahiers d’Esther tout comme dans L’Arabe du futur, vous présentez la réalité à travers le regard des enfants. Pourquoi ?

J’aime beaucoup essayer de décrire le monde extérieur à travers le prisme de l’enfance, parler du monde secret des enfants entre eux et de l’intensité de leurs sentiments...et aussi leur donner la parole. Lorsque je travaillais sur L’Arabe du futur, les parents de la vraie Esther sont venus dîner chez moi avec leur fille. Elle s’est mise à me raconter sa vie, son quotidien, la façon dont elle voyait la société. Elle est bien plus positive et optimiste que moi ! Je suis un grand admirateur du petit Nicolas de Goscinny. J’aime le regard candide de l’enfance, qui bien souvent révèle l’absurdité du monde des adultes. J’ai tout de suite eu envie de mettre en parallèle ma « jeunesse au Moyen-Orient » que j’étais en train de raconter, avec cette « jeunesse française » d’une petite fille de 10 ans, en 2016.

Vous passez de l’école publique de Riad à Homs à l’école privée d’Esther à Paris. Quelle est votre vision de l’école française et de ses enseignants ?

Je vais le raconter dans la suite de L’Arabe du futur ! J’ai eu des profs très importants en France. Je n’avais pas spécialement de rapports privilégiés avec eux, mais j’aimais beaucoup l’enthousiasme avec lequel ils refusaient d’abandonner les faibles. Je pense souvent à un prof de physique au collège, c’était un moustachu bourru. Il donnait sur son temps, le midi, des cours de rattrapage pour ceux qui avaient du mal, alors que rien ne l’obligeait à faire ça. J’y allais, car je ne comprenais rien à la physique et c’est idiot, mais je me sentais considéré !

Avec tous ces succès, êtes-vous, à l’image que votre père s’en faisait, l’Arabe du futur ?

Je suis simplement passionné ! J’adore dessiner, j’adore raconter des histoires en bandes dessinées sur le monde réel, j’adore aller dans les librairies et rencontrer les lecteurs, j’adore les entendre me dire qu’ils ont aimé mes trucs... Je n’y peux rien ! Je suis un peu mégalo, sans doute. Mon père je crois, n’était pas très intéressé par la passion. Je pense qu’il n’y croyait pas vraiment, et c’est sans doute ce qui me différencie de lui. Lorsque vous êtes passionné par quelque chose, peu importe, vous vous en sortirez toujours. C’est peut être naïf, mais j’y crois ! Je ne sais pas trop quoi faire pour déclencher la passion chez les jeunes, par contre....

La BD documentaire, outil d’analyse sociale. Vous reconnaissez-vous dans Daumier ou Balzac ?

Ma première BD documentaire, je l’ai faite bien avant la mode actuelle, en 2005, elle s’appelait Retour au collège. J’étais retourné dans une classe de 3e suivre les cours, observer les élèves entre eux et j’ai raconté cette expérience. Je ne cherche jamais à juger et commenter les choses. J’aime bien observer et montrer des faits. Je laisse les lecteurs faire leur avis (même si bien sûr je les guide...) J’ai beaucoup lu Balzac et c’est impossible de se comparer à lui. Je me disais en le lisant : un jour je ferai une BD avec énormément de personnages différents avec chacun un destin ! Une qu’il faudra relire plein de fois, avant de bien tout comprendre.

Vous avez pris une position tranchée sur l’absence initiale de femmes dans la liste de la sélection du festival d’Angoulême. Pourquoi ?

Eh bien, je me suis retrouvé dans la liste des grands prix, avec 29 hommes et 0 femme. Je ne suis pas joueur de foot, je fais des BD et j’avais l’impression d’être dans un vestiaire un peu puéril... J’admire des auteurs femmes, (qui sont avant tout de grands auteurs, avant d’être des femmes), et je pensais qu’elles méritaient d’être dans cette liste honorifique plutôt que moi, c’est tout. C’était pas possible. En fait on s’en fout un peu des prix, bien sûr, mais Angoulême est une sorte de symbole de la bande dessinée, dans l’esprit des gens. J’étais gêné d’être dans cette liste, alors je suis parti, c’est aussi simple que cela.

Voir aussi :
- Toute l’actualité de Riad Sattouf