Entretien avec Pascal Clerc, maître de conférences en géographie Pascal Clerc est maître de conférences en géographie (Université Claude Bernard Lyon 1-IUFM)
Cette discipline s’enseigne depuis très longtemps. Avec quelques collègues, nous travaillons sur les débuts de la géographie scolaire. Dès l’apparition des premiers programmes, au début du XIXe siècle, la géographie est enseignée avec l’histoire et le plus souvent au service de l’histoire. Cette institutionnalisation précède donc largement la guerre de 1870, trop souvent présentée comme une fondation. La discipline est alors très descriptive, basée sur la mémorisation, sur l’inventaire. Mais la situation a évolué. Dans les années 1970, avec l’apparition de l’éveil au primaire, c’est la première fois que l’on envisage les sciences sociales dans leur globalité et que l’on abandonne le découpage disciplinaire. Chaque science sociale a sa méthodologie propre, mais un enseignement global des sciences sociales permet de poser des questions sociales et de tenter d’y répondre. Et il me semble que c’est bien l’enjeu actuel. L’objectif de la géographie, c’est d’aider à comprendre le monde contemporain. Le but de l’école n’est pas de faire de petits géographes mais bien de mobiliser des savoirs géographiques pour essayer de mieux comprendre ce qui les entoure. Si l’on accepte cette idée, il est logique de ne plus mettre l’accent sur l’accumulation de connaissances mais sur la compréhension des conflits, de l’environnement... Pour les enseignants c’est un changement de perspective majeur.
Il faut d’abord noter que les programmes sont très courts ; en primaire pour la géographie (cycle 3) le programme tient en une page. Et par là-même la contrainte des programmes est limitée. L’enseignant a une grande marge de manœuvre, il est possible d’enseigner une géographie de l’intelligibilité du monde, même dans le cadre de ce programme. Mais ce programme est tout de même assez inquiétant en termes de contenus. Il tourne presque exclusivement autour de la France. La référence à l’Europe est très marginale et celle au monde quasi nulle. C’est une drôle de manière de penser les espaces au début du XX Ie siècle. On devine une intention politique qui privilégie le national au détriment des autres échelles identitaires.
J’en citerai quatre. D’abord, l’absence de formation des enseignants, mais elle n’explique pas tout car cette situation ne date pas d’hier. Les représentations qu’ont les enseignants du primaire de la géographie me semblent aussi une donnée du problème. Les enseignants ont beaucoup de mal à sortir d’une géographie associée soit à l’idée du voyage et de l’exotisme, soit aux souvenirs d’école d’une discipline très sérieuse et ennuyeuse. Un troisième frein est la science géographique elle-même ; la géographie contemporaine est passionnante mais tellement diverse qu’elle peut faire peur ; en outre, les travaux des universitaires sont peu diffusés. Le nombre de professeurs des écoles ayant fait des études de géographie est trop faible pour permettre de changer ces représentations. Je pense enfin que nous, les géographes formateurs d’enseignants, n’avons pas réussi à didactiser la discipline, à réfléchir à ce qui se passe dans la classe, à proposer des manières de faire accessibles qui parlent aux enseignants.
C’est sans doute une bonne occasion mais le problème de l’absence d’outils didactiques à proposer aux enseignants reste entier. Cette approche mérite sans doute d’être développée mais j’ai quelques craintes autour de l’interprétation scolaire du développement durable, qui risque la caricature en ne considérant que l’environnement. Les questions sociales et économiques sont tout autant importantes. Pour l’agriculture par exemple, mettre l’accent sur la pollution, ce qui est très important, sans rappeler que cette agriculture a permis par des progrès technologiques considérables de nourrir les Français et sans évoquer la question du revenu des agriculteurs, n’a pas de sens. Il faut donc que la géographie y tienne toute sa place.