Histoire
Noisy-Le-Sec sur les traces d’enfants
16 février 2011

- Noisy-Le-Sec sur les traces d’enfants
- Entretien avec Fabienne Regard, historienne, Dr en Sciences politiques, expert au Conseil de l’Europe sur la mémoire de l’Holocauste et la prévention des crimes contre l’humanité.
- En ligne sur le sujet

Les murs de l’école Brossolette vont accueillir une plaque commémorative pour deux enfants déportés pendant la guerre. Afin de préparer l’événement, une exposition-atelier sur 10 histoires d’enfants juifs sauvés a été installée pour un mois.

Dans une salle du rez-de-chaussée de l’école Brossolette de Noisy-le-sec, 10 panneaux occupent l’espace. 10 photos avec un début de témoignage : « Je m’appelle Mireille Marachin. Je suis née Mireille Gluckman, le 18 septembre 1935. Mes parents étaient des juifs polonais… » « Je m’appelle Schmuel Adar. Je suis né Samuel Fried à Budapest en 1937 » « Je m’appelle… » Abraham, Nachum, Khaya, Rachel, Tsofia, Alik, Fredzia, Alisa, 10 histoires d’enfants juifs cachés pendant la guerre rendues accessibles par l’association Yad Layeled* qui a conçu ce projet. Cet après-midi, les CM2 de la classe de Thierry Noël vont découvrir par groupes la vie et le destin de ces enfants qui avaient leur âge entre 1939 et 1945. Les concepteurs de cette exposition ont délibérément choisi de raconter des histoires d’enfants rescapés de la Shoah. Ces histoires permettent de raconter en filigrane, en tenant compte de la sensibilité d’élèves de classe primaire, l’histoire des enfants disparus, 1,5 million environ.

« Nous avons été ravis de découvrir cet outil très riche, explique Philippe Jacqueline, le directeur de l’école, il s’insère parfaitement dans notre projet ». En effet, l’an passé, une vieille dame, Mme Volgus, elle-même enfant sauvée, a proposé la pose d’une plaque commémorative suite à la déportation à Auschwitz de deux enfants de Noisy. « Le fait que cet événement se passe dans notre école nous a poussés à mettre en place dans les 3 classes de CM2 une réflexion autour de la mémoire, de la tolérance, de la citoyenneté » explique le directeur qui s’est associé à la mise en place d’ateliers pour préparer cet événement : chants, recherche documentaire, arts visuels. Un travail sur l’Histoire s’est aussi organisé avec la visite du camp de Drancy avec Mme Levy, une enfant sauvée, elle aussi, et avec cette exposition.

Et puis, est venue s’ajouter l’exposition. La séance d’aujourd’hui commence par le visionnage du témoignage vidéo d’Arlette Testyler arrêtée à 9 ans pendant la rafle du Vel’ d’hiv, internée à Beaune-la-Rolande puis cachée et sauvée. « Nous avons souhaité ajouter cet élément à l’exposition afin d’entrer tout de suite dans le vif du sujet » mentionne Philippe Jacqueline. Puis, par groupes, les élèves choisissent le portrait d’un enfant. Ils répondent à un questionnaire réalisé par l’association. Celui-ci permet d’aborder des questions autour de l’identité de l’enfant, son lieu de vie, la chronologie des événements, la carte des déportations, la restitution du récit. Il permet aussi aux élèves d’évoquer leur ressenti face à ces histoires de vie. Pour y répondre, les élèves disposent du témoignage écrit des survivants et de documents d’archives plus ou moins nombreux selon ce qui a pu être retrouvé : de 7 à 13 documents comme des photos, des papiers d’identité, des objets… « L’objectif est d’enseigner aux élèves la connaissance des faits à travers des récits véridiques et de leur apprendre la construction d’un discours historique » explique Galith Touati la conceptrice de l’exposition. Un livret pédagogique propose aussi des contenus pour l’enseignant, les réponses aux questionnaires et des pistes d’approfondissement. « Dans nos choix, les Justes occupent la première place. Ils sont la part lumineuse dont on a besoin pour aborder la Shoah », insiste Galith, qui évoque le sens de la responsabilité, la résistance de ces personnes qui cachaient gratuitement, au risque de perdre la vie.

*www.yadlayeled.org/5divers/enseigner-la-shoah-a-lecole-primaire/


Entretien avec Fabienne Regard

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Historienne, Dr en sciences politiques, expert au Conseil de l’Europe sur la mémoire de l’Holocauste et la prévention des crimes contre l’Humanité

- Vous avez relu l’exposition « Sur les traces d’une photo », quel intérêt ce type d’outil pédagogique a-t-il ?

  • Ce matériel pédagogique fait le lien entre les histoires de vie et l’Histoire. La Shoah est une question politique mais aussi un problème humain. Ce sont des individus qui l’ont mise en œuvre, ce sont des individus qui en ont été les victimes. Si on ne s’intéresse qu’à l’idéologie nazie ou si on en reste aux chiffres, aux dates, on laisse de côté la dimension humaine. Or, cette entrée est majeure en primaire, les enfants se rappelleront d’une personne, d’un être humain, qui les a touchés. Le succès du journal d’Anne Franck témoigne de cela. La transmission de ces mémoires individuelles participe de la prévention contre le racisme et l’antisémitisme. Les enfants observent comment l’exclusion se construit et devraient être éduqués à repérer les prodromes de cette attitude dans la société dans laquelle ils vivent.

- Comment les enfants investissent-ils ces témoignages ?

  • Sur le plan pédagogique, l’approche par les enfants sauvés permet une identification différenciée. Les élèves réalisent que c’est arrivé à des enfants comme eux ... Mais ils savent que c’est une autre époque, un autre contexte politique, idéologique et social. Ils se rendent compte que cela les concerne en tant qu’enfants. Ils prennent conscience de leur valeur, de leur statut de « sujet » de l’Histoire. C’est parce qu’ils représentaient l’espoir, la transmission culturelle, le futur qu’ils ont été une cible majeure des Nazis. Il est important de travailler avec des enfants cachés (qui ont survécu) car cela respecte leur sensibilité. Il n’est bien entendu pas question de les traumatiser ou de les punir en étudiant la Shoah.

- Certains témoins interviennent dans les écoles. Comment les accueillir ?

  • Le témoignage des « enfants sauvés, cachés » qui ont aujourd’hui autour de ­­70 ans se prépare avec soin. Ce n’est pas une heure de cours en moins. L’enseignant doit rencontrer le témoin en amont. Il est indispensable que l’enseignant connaisse la vie du témoin et les questions à ne pas poser car trop douloureuses, le cas échéant. Tout survivant est fragile, on lui a dénié le droit à la vie. Il a survécu quand d’autres proches, semblables ont, eux, disparu. À chaque fois qu’il témoigne, il revit ce traumatisme. Toutefois, la rencontre avec les classes est non seulement positive pour l’apport « contenu éducatif » offert aux élèves, mais pour le témoin, cette école dont il avait été exclu, pendant la Shoah, lui ouvre ses portes et lui reconnaît un statut social, celui de « vaccin » contre l’antisémitisme et l’intolérance, ce qui est symboliquement fort.

En ligne

- Textes officiels et ressources

  • « À l’école élémentaire, l’étude de la Shoah doit s’appuyer sur la complémentarité des disciplines : elle s’effectuera principalement en histoire, mais elle pourra prendre appui sur des œuvres d’art ou sur des livres dans le cadre de l’enseignement d’histoire des arts ou de littérature... » BO n°29 du 17 juillet 2008 http://www.shoah.education.fr/

- Témoignages filmés

- BD

  • Cette BD parue en 2008 dresse un panorama de diverses situations existantes : le sort des Juifs de Salonique, la vie dans les ghettos, le sauvetage des enfants en France, en Autriche, aux Pays-Bas. Ces récits édifiants, violents, parfois cruels, sont tous authentiques. http://www.editions-delcourt.fr/catalogue/bd/les_enfants_sauves

- 27 janvier

  • Sur le site du SNUipp vous pouvez par ailleurs retrouver d’autres ressources mises en ligne à l’occasion de la journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l’holocauste le 27 janvier. http://www.snuipp.fr/Holocauste-27-janvier-journee