La Guyane, département français qui regorge de richesses, de biodiversité et à la population métissée souffre d’abandon économique et éducatif. Un déficit d’Etat ?
Certains situent l’Eldorado
quelque part en
Guyane. Car, entre la proximité avec le
géant brésilien, les ressources de la mer,
la biodiversité de la forêt, la base spatiale,
les ressources du sous-sol, le pétrole et surtout
sa jeunesse pleine de vie, les atouts ne
manquent pas au département le plus grand
de France et ses 250 000 habitants. Bien
ancrée dans le XXIe siècle avec les lancements
depuis Kourou et Sinnamary de trois types de
fusées Ariane, Vega et Soyouz, force est pourtant
de constater que la Guyane n’hérite pas
toujours de la place qui devrait lui revenir au
sein de la nation française et ce, dans une quasi
indifférence générale.
En 2012, des données de l’Observatoire national
de la délinquance et des réponses pénales
(ONDRP) désignent la Guyane en tête des territoires
français où les meurtres sont les plus
fréquents (10,2 homicides pour 100 000 habitants).
Une situation pourtant passée sous
silence, tant de la part des institutions que par
les médias qui privilégient souvent des reportages
sensationnalistes sur Marseille avec
« seulement » 2,8 homicides pour 100 000
habitants dans les Bouches-du-Rhône, soit
près de quatre fois moins qu’en Guyane. Et en
un an, les chiffres de la délinquance guyanaise
ont bondi de 29% pour les atteintes aux personnes,
27% pour les
violences sexuelles et
26% pour ce qui est
des meurtres.
Ces violences sont le
corollaire d’une réalité
sournoise : le pillage
systématique des ressources
en or par les orpailleurs clandestins.
Combien de sites d’orpaillage illégaux en forêt
amazonienne ? Même les autorités locales s’y
perdent : la préfecture en recense 485 quand
pour l’ONF, ils sont 774 ! Mais la réalité, ce sont
les 15 000 « garimpeiros », ces chercheurs d’or clandestins venus principalement
de régions défavorisées
du Brésil ou du Surinam, qui
exploitent le sous-sol, jusqu’au
coeur du Parc national, avec
tous les problèmes qui en
découlent : destruction de la
forêt amazonienne et pollution
durable des cours d’eaux par
le déversement systématique
de métaux lourds nocifs pour
la santé, le mercure et le cyanure
qui servent à agglomérer
les particules d’or. La gendarmerie
et les forces armées
luttent contre l’orpaillage illégal,
mais lors de la dernière
opération nommée « opération
Harpie », les effectifs ont été
diminués. Sur environ 475 gendarmes engagés
habituellement dans la forêt guyanaise,
126 en ont été retirés pour être réaffectés sur
le littoral afin d’y faire face à une délinquance
plus visible.
Des lignes de bus
pas comme les autres
En Guyane, le décollage économique peine à se réaliser en raison des coûts de production élevés, de la faiblesse de la population diplômée et de la dépendance commerciale vis-à-vis de l’Hexagone. Le taux de chômage atteint 40,8% à Saint-Laurent-du-Maroni, au nord ouest du département. À Cayenne, les taux sont autour de 18%. Partout, plus d’un jeune sur deux (51,5 %) est au chômage. Et parmi eux, combien ne déclarent même plus chercher du travail tant ils savent qu’ils n’ont aucune chance d’en obtenir ? De plus, la forte croissance démographique conduira au doublement de la population des moins de 20 ans à l’horizon 2040. Le manque d’infrastructures les plus élémentaires, comme les voies de communication et les écoles, est criant. Selon une étude du ministère de l’Éducation réalisée lors de la « journée défense citoyenneté » de 2013, la part de jeunes de 18 ans en difficulté de lecture est de 46,9 % en Guyane dont 25,8 % en situation d’illettrisme. Plus de 53 % des 20-24 ans ayant quitté le système scolaire n’ont que le niveau du primaire.
Alexandre Dechavanne, secrétaire départemental du SNUipp-FSU, connaît bien la situation du département. « Les enseignants du littoral ont des écoles vétustes et saturées, mais le téléphone, des routes, des fusées ! Tant mieux. Ailleurs, on n’a rien. À St-Laurent, ville de 30 000 habitants, il n’y a pas de cantine. Le coût des transports est énorme car ce sont des compagnies privées qui les gèrent. Les petites villes isolées de l’ouest ne peuvent pas construire d’écoles, elles mettent des structures pré-fabriquées, des Algéco, qui durent toute la vie et elles paient alors des loyers importants. Quant au recrutement, même localement, on ne trouve pas suffisamment de contractuels et ceux qui sont là ne sont pas payés. Il manque 38 postes sur les écoles du fleuve Maroni et 22 sur l’Oyapock. Des écoles sans eau potable, sans téléphone, sans internet, ça suffit. Nous avons écrit une lettre au Recteur pour qu’il prenne ses responsabilités et qu’il réclame des postes et des moyens. » Même tonalité chez Michel Valiente, le directeur d’une école de 520 élèves à St-Georges, une petite ville sur le bord d’un grand fleuve frontière, l’Oyapock, près du Brésil. « Les villes et les villages des fleuves ? Rien à voir avec Cayenne ou Kourou, les villes du littoral. Nous, on est les oubliés sur des territoires sans emploi. On n’a pas de lycée ici et on est à 200 km de Cayenne avec 2h1/2 de route difficile. Et comme il n’y a pas d’internat là-bas, nos jeunes sont dans des familles d’accueil. On ne prend pas les gens au sérieux : un pont a été construit reliant St-Georges et le Brésil. Il est terminé depuis 2011, il a coûté 50 millions d’euros, et il n’est toujours pas ouvert ! Que d’argent public investi pour rien ! »
Le ministre de l’Outre-Mer a annoncé que le département de Guyane et celui de Mayotte bénéficieront d’un financement de l’Etat de 20 millions d’euros dès 2014, pour appuyer les travaux de constructions scolaires. Sans préciser la part respective de chaque bénéficiaire ni la nature des travaux à financer. Quant à la nouvelle carte de l’éducation prioritaire, sur les 29 collèges de Guyane, 18 seront en REP+ et 10 en REP. Cette situation, où pratiquement tous les collèges et les écoles de secteur de Guyane sont placés en zone d’éducation prioritaire, montre bien le grand besoin d’efforts en éducation de la part du gouvernement et du ministère. La situation économique et sociale, la délinquance rendent ces besoins encore plus criants.
Les langues de Guyane |
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Une quarantaine de langues maternelles sont présentes dans les classes : ce sont les résultats d’une enquête qu’Isabelle Léglise, chercheuse au CNRS, a mené dans les écoles de Guyane. La Guyane est non seulement multilingue, mais elle est également plurilingue : 93% des élèves de 10 ans déclarent parler deux langues, en général leur langue maternelle plus le français, ce qui est attendu puisqu’il s’agit de la langue de l’école. Moins attendu est le fait que 41% des enfants déclarent parler au moins trois langues et 11% au moins quatre langues. Avec cette question que se posent toujours les familles : doivent-elles ou non transmettre leurs langues et quelles langues transmettre, surtout quand il y en a plusieurs ? Le choix est vaste entre les 6 variétés des langues amérindiennes, les 9 variétés de langues créoles à base lexicale française ou anglaise, les 5 variétés de langues européennes et les 2 langues asiatiques. Langues d’immigration, langues issues de l’esclavage, langues régionales, langue d’Etat... des difficultés posées aux enseignants qui sont obligés de tenir compte de toutes ces langues sans toujours en connaître les spécificités. |
Les hurleurs de Guyane |
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Un mot d’ordre : dire « NON à l’orpaillage illégal » en Guyane, « ce fléau qui touche le territoire guyanais depuis plus de 20 ans, sans qu’aucune politique publique n’en ait stoppé la progression ». Le collectif des « Hurleurs de Guyane » est structuré depuis octobre 2013. Il regroupe des citoyens, des associations et des structures économiques, artistiques, politiques et sociales. Une manifestation lors de la venue du président Hollande a réuni plus de 1 000 hurleurs en décembre. Des infos, des photos sur hurleursdeguyane.org |