Au programme cet après-midi, écriture pour les CP et remise en ordre d’une histoire pour les CE1, avec un temps autonome comme dans toute classe à double niveau. Pour suivre le travail de ses 23 élèves, dans sa grande classe aux murs roses, Béatrice Truchon circule entre deux tableaux et les petits groupes de tables, disposés de façon à pouvoir s’approcher de chaque élève, en fauteuil roulant. Une particularité, un handicap, qui ne gène pas l’exercice du métier. " Ma seule contrainte est de ne jamais rester le seul adulte dans l’école au cas où un élève s’enfuirait à tra vers champs ", peu probable. Il suffit donc d’éviter les classes uniques et les étages. Celle du petit village de Générac, au milieu des vignes girondines, est de plain pied et comporte deux classes. La seconde, le cycle 3, est celle de Philippe Diharce, compagnon de Béatrice. Lorsque celui-ci est à la piscine, reste toujours un intervenant extérieur ou un personnel de service dans les locaux. " Il suffit de s’organiser, commente Béatrice, ce qui est un peu plus difficile depuis que l’AE est parti ".
Une enseignante en fauteuil roulant peut-elle tout enseigner ? " L’EPS ne me pose aucun problème car il n’est pas nécessaire de montrer ", répond l’intéressée, très sportive avant de devenir paraplégique et qui continue d’adorer ça, avant d’avouer " pour la danse, j’apprécie l’aide de Karine, l’intervenante, car ce n’est pas mon truc ", mais c’est en arts plastiques qu’elle se sent le moins à l’aise... La seule difficulté qu’a vraiment rencontrée Béatrice fût d’obtenir le droit de passer le concours de professeur des écoles. Il lui aura fallu beaucoup de détermination pour prouver qu’elle était capable de faire ce métier. " En observation ou en responsabilité, c’est le retour des instits de terrain qui m’a convaincue que c’était possible " relate-t-elle. L’IUFM , alors toute nouvelle institution, l’a inscrite en année préparatoire mais s’est montré plutôt frileux quand des réserves arrivèrent du ministère sur son " aptitude " au concours. Béatrice l’a néanmoins passé et réussi, sans aucun aménagement de l’épreuve d’EPS (comme c’est le cas pour les femmes enceintes). Après une pourtant bonne année de formation professionnelle, elle s’est vu imposer un stage supplémentaire avant titularisation. " Ces réticences relèvent d’une peur liée à la méconnaissance du handicap " tempère Philippe.
Le deuxième obstacle fût l’affectation. Bien que Béatrice n’ait " voulu prendre de poste à personne ", il fallait que l’école soit accessible et que Philippe ne soit pas nommé à l’autre bout du département. C’est donc une école loin de Bordeaux et peu demandée, qui a fait leur bonheur, avec l’appui du SNUipp 33 et d’un IEN décidé à trouver des successeurs à un couple de retraités. Les seuls aménagements nécessaires ont été des rampes d’accès aux portes. Arrivés là, de classiques difficultés de débutants en milieu rural les attendaient : gérer des niveaux multiples, organiser les progressions, prendre en charge la direction, gagner la confiance des parents et du village. Tout s’est mis en place petit à petit et ce n’est qu’aujourd’hui, 8 ans après, dans la confidence et la proximité, que certains leur avouent leurs inquiétudes premières. Les enfants, eux, sont surpris de l’étonnement de leurs cousins lorsqu’ils évoquent le mode de locomotion de leur maîtresse.
Inscrits dans une ZEP rurale de 13 écoles, les élèves de Générac participent avec entrain aux projets et rencontres sciences, théâtre, cirque et comités de lecture. "Tout ça nous ouvre sur l’extérieur ", apprécient Philippe et Béatrice, venus de Biarritz où ils retournent souvent. Repartir, ils y songent, mais il faudrait trouver une école adaptée. Et puis, ils sont bien ici. Ils y ont même conçu Robin, trois ans.
L’avis de... Patrick Gestin Membre du CA de l’ATHAREP*, chargé de mission sur la fonction publique
La loi de 1987 fixait l’objectif de 6 % de travailleurs en situation de handicap. La fonction publique dépasse à peine 4 % aujourd’hui, (surtout en catégories C et D). Pourquoi cette situation ?
Dans le privé, depuis 87, existe un système d’incitation (l’AGEFIPH) qui combine aide et " sanction " financière, le secteur public n’y étant pas astreint. Notons cependant ses limites, puisqu’un tiers des employeurs continue à payer le prix fort, en n’employant aucune personne handicapée. Dans le public, le recrutement par voie " contractuelle " (avec titularisation sous 1 ou 2 ans) a longtemps été réservé aux catégories C et D. Il a fallu attendre 95 pour que le dispositif soit élargi en B et A, la concrétisation étant lente. Espoir, en 2001, le protocole signé entre le ministère et 5 syndicats, a initié de nouvelles règles sans enclencher de dynamique. Depuis 87, l’accès au statut de titulaire demeure le plus gros défi, en particulier dans l’EN, avec la question de " l’aptitude ". La possibilité d’aide humaine a pourtant créé une ouverture, mais elle est fragilisée par la fin brutale du dispositif emplois-jeunes.
La loi en discussion va-t-elle améliorer les choses ? Que faut-il faire ?
On ne se retrouve pas dans cette loi d’orientation qui définit un droit à compensation largement théorique tant que les ressources financières dépendront de décrets et d’une loi ultérieurs (la " loi dépendance " financée par jour férié). De plus, elle n’a pas l’ambition de reconnaître vraiment les personnes handicapées elles-mêmes, trop souvent représentées par des associations gestionnaires. Quant à l’insertion dans le monde du travail, elle ne réussira que si elle devient préoccupation de tous : ressources humaines, formation, prévention, syndicats, et pas seulement de la " cellule handicap ". Dans ce sens, l’ATHAREP a créé un service " agir pour l’insertion " qui favorise l’embauche en catégorie A de la Fonction publique, informe et joue l’interface employeur-jeune diplômé. Le frein est avant tout culturel aussi, pour avancer, faut-il s’appuyer sur 3 leviers : la réglementation, l’exemplarité (avec une dose de volontarisme) et le revendicatif (y compris le recours en justice).
*Association Travail & Handicap dans la Recherche Publique - 01 53 61 12 58 / atharep@cnrs-dir.fr