Denis Meuret, professeur de sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne et chercheur à l’IREDU-CNRS
Que nous apprennent les études comparatives entre pays sur l’effet du redoublement ?
Elles mettent en évidence que de ne pas pratiquer le redoublement
(comme au Japon, au Royaume Uni, en l’Irlande et dans les pays scandinaves) n’empêche pas les élèves de mieux réussir. Le test PISA, effectué en 2000 sur les élèves de 15 ans de 32 pays (surtout OCDE) en lecture, maths et sciences, souligne très nettement leur tendance à obtenir de meilleurs scores que les autres. Ce qui ne prouve pas, en soi, l’inefficacité du redoublement mais pose la question.
Que disent alors les recherches menées à l’intérieur d’un même pays ?
Elles nous apprennent deux choses principales. La première est que parmi deux élèves qui avaient le même faible niveau en fin de CP et qui ont, l’un redoublé, l’autre suivi un CE1, celui qui est passé obtient de meilleures performances en fin de CE1 que l’autre en fin de CP, à la même date. La seconde est que celui qui a redoublé obtient des performances identiques au précédent à la fin de son CE1, un an plus tard. On peut donc en déduire qu’il a perdu un an. Cet exemple du CP est valable pour les autres niveaux. Evidemment, c’est difficile à percevoir par les enseignants car, au cours de son redoublement, l’élève a progressé. Si le "promu " directement en CE1 progresse mieux, bien qu’il reste faible, c’est que le fait même d’être exposé à des apprentissages nouveaux aide à apprendre. Mais on ne peut se satisfaire d’une simple promotion.
Et quels sont les effets psychologiques du redoublement ?
Un élève qui redouble se sent moins bien à l’école et a une moins bonne image de lui que les autres, c’est certain, mais il semble qu’au primaire, les inconvénients d’ordre cognitifs sont plus importants que les inconvénients d’ordre émotionnel.
Vous analysez aussi que le redoublement est inéquitable…
Oui, car la décision est prise en fonction du niveau de l’élève dans sa classe. Un faible dans une classe forte a plus de chances de redoubler qu’un autre dans une classe moins forte. Je dis cela à partir d’une étude belge, mais qui me semble valable pour la France. Suite à cette étude, une expérience a été menée : les décisions de redoublement ont été prononcées par les enseignants sur la base d’épreuves standardisées. Cela a eu deux conséquences : on a observé moins de décisions de redoublements et, surtout, les enseignants ont été très rassurés de connaître avec précision ce qui était attendu de leurs élèves. L’épreuve réduisait la part d’arbitraire. Car, si les enseignants ont une vision très juste de l’ordre de leurs élèves (du plus fort au plus faible), les études montrent qu’ils ont tendance à exagérer les écarts entre eux. Enfin, le redoublement est stigmatisant. On observe que plus tard, avec un même niveau scolaire et une même origine sociale, un élève qui a redoublé bénéficiera d’une orientation moins favorable qu’un autre. Il risque aussi davantage de sortir sans diplôme du système éducatif.
Mais alors pourquoi continue t-on à faire redoubler ?
Cela coûte très cher mais c’est la solution la plus simple à mettre en place. Et puis, les enseignants pensent bien faire. Ils considèrent le redoublement comme une chance offerte aux élèves en grande difficulté puisqu’ils les voient mieux réussir juste après, ils ne voient pas que, structurellement, les élèves auraient mieux réussi en passant. Ils pensent aussi réduire de la sorte l’hétérogénéité des élèves alors qu’en réalité, l’écart entre les faibles et les forts d’une même classe est 4 fois plus grand qu’entre les moyens d’une classe et ceux de la classe supérieure. Peut-être également qu’un enseignant craint parfois le jugement de l’enseignant d’aval s’il lui envoie des élèves trop faibles.
Comment faudrait-il faire pour un élève qui n’a vraiment pas " les bases " ?
On surestime bien souvent l’importance des " pré-requis " à un apprentissage. En fait un élève faible a, surtout, des problèmes de lenteur. Aussi, mettre en place un suivi, un dispositif de remédiation, apparaît beaucoup plus efficace que le redoublement. C’est ce que souligne la recherche sans nous permettre encore d’identifier quelle est la meilleure forme de remédiation. L’essentiel, je crois, est de donner toute l’attention nécessaire aux élèves faibles, à leurs réponses, à leurs propositions (les enseignants s’adressent surtout au 1/3 supérieur de leur classe), et ce dès le début d’année. Car progresser dès le départ est très motivant, quand sentir en fin d’année que, de toute façon, on va redoubler, fait baisser les bras… à tout de monde.